Commentaire d'un extrait du Second Discours de Rousseau sur la perfectibilité

 

« Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de l'homme et de l'animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c'est la faculté de se perfectionner ; faculté qui, à l'aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l'espèce que dans l'individu, au lieu qu'un animal est, au bout de quelques mois, ce qu'il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu'elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l'homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? N'est-ce point qu'il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la bête, qui n'a rien acquis et qui n'a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l'homme reperdant par la vieillesse ou d'autres accidents tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même ? Il serait triste pour nous d'être forcés de convenir, que cette faculté distinctive, et presque illimitée, est la source de tous les malheurs de l'homme ; que c'est elle qui le tire, à force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents ; que c'est elle, qui faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même et de la nature. »

Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 1ère partie, § 16

 

 

Voici quelques indications contextualisantes introductives à l'explication de ce texte, dont vous pourrez prendre connaissance dans sa totalité :

Rousseau a commencé par préciser les traits physiques de l'homme tel qu'il sort des mains de la nature, avant tout commerce, autre qu'occasionnel, avec ses semblables, et donc avant toute organisation sociale et culturelle de sa vie.

Il décrit à présent sa condition originelle, en l'envisageant d'un point de vue « métaphysique ». Selon la terminologie adoptée au XVIIIe siècle, la description métaphysique concerne la question de la liberté et des facultés spirituelles de l'homme. Est métaphysique ce qui dans le comportement humain excède le mécanisme physique. Il s'agira donc pour Rousseau de marquer la frontière, et ceci à l'intérieur même de l'état de nature, entre le règne animal et le règne proprement humain.

Aussi Rousseau cherche-t-il à définir l'homme en ce qu'il a de spécifiquement humain. Or, définir l'homme, c'est exposer le caractère qui le distingue des autres animaux. Si Rousseau reconnaît, contre toutes les tentations matérialistes, que l'homme est doué d'une âme et que c'est cette dimension spirituelle qui fait son humanité, il lui reste à préciser en quoi consiste l'âme, et en quoi elle se distingue du corps. La réponse classique est connue : l'âme c'est la pensée, la raison ; d'où la définition traditionnelle : l'homme est un animal raisonnable. Rousseau, marquant ainsi sa profonde originalité, répond : c'est la liberté, non la raison, qui fait l'homme.

Son argumentation s'appuie sur le principe selon lequel la formation des idées peut s'interpréter de manière strictement mécanique : « La physique explique en quelque manière le mécanisme des sens et la formation des idées ». Du reste l'animal n'en est pas dépourvu : « Tout animal a des idées puisqu'il a des sens, il combine même ses idées jusqu'à un certain point, et l'homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus ou moins ». Par conséquent, la capacité à former et associer des idées, appelée alors entendement, ne saurait suffire à exprimer la spiritualité de l'âme. Son essence, selon Rousseau, est la liberté, non la raison. Mais en quoi consiste la liberté?

« Je ne vois dans tout animal qu'une machine ingénieuse, à qui la nature a donne des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu'à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger. J'aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l'homme concourt aux siennes en qualité d'agent libre. L'un choisit ou rejette par instinct, et l'autre par un acte de liberté. »

La liberté, on le voit, c'est essentiellement le pouvoir de choisir, appelé aussi libre arbitre, qui fait du sujet humain la cause première et volontaire de sa conduite. Aussi intense que puisse être la pression des passions, quelles que soient les forces extérieures qu'il affronte, l'homme éprouve en lui cette capacité qu'il a de dire oui ou non, de suivre la pente de ses passions ou d'y résister C'est en quoi résident sa dignité et sa responsabilité. Les lois naturelles déterminent nécessairement les phénomènes physiques (la pierre ne choisit pas de tomber); elles régissent également les mécanismes d'adaptation instinctifs auxquels sont soumis les animaux. Les conduites humaines, au contraire, excluent le déterminisme naturel. Certes l'homme primitif obéit spontanément à la nature. Mais c'est déjà en qualité d'agent libre. S'il n'est pas encore capable de penser, il est déjà en mesure de vouloir.

Bien que dépourvu de raison, l'homme primitif est donc déjà un homme à part entière. La nature s'exprime dans la liberté et non dans la raison dont les développements se révèlent trop tributaires des contingences de l'Histoire. C'est donc par référence de l'usage qu'elle fait de sa liberté qu'il faudrait juger des progrès de l'humanité, au lieu de ne tenir compte que des seules avancées scientifiques et techniques. Au plan politique, c'est encore la liberté qui constituera le fondement et la finalité ultime de l'ordre républicain. L'homme n'est tenu d'obéir qu'à la loi à laquelle il a consenti. Cette promotion de la liberté, au détriment de la raison, modifie en profondeur le point de vue que la tradition adoptait sur la condition humaine. L'idéal de la sagesse antique, vivre selon les préceptes de la raison, passe désormais au second plan, après l'exigence de liberté.

 

 

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