"La caractéristique véritable de l'activité technique, c'est que pour elle l'obtention du résultat qu'elle poursuit est tout; sans doute le résultat est subordonné au besoin du sujet, et sous ce rapport un art ne s'attache pas seulement à la réalisation d'une oeuvre objective. Mais d'une part l'activité technique prend le besoin comme un fait, n'en examine pas la valeur, et d'autre part, le besoin n'est pour elle qu'une condition extrinsèque et préalable. Un résultat étant donné comme but, la tâche propre de l'activité technique vient ensuite, et consiste à procurer le résultat. Plusieurs remarques aisées constituent autant de conséquences et de preuves de cette affirmation. Si le résultat n'est pas atteint, l'activité qui l'a poursuivi, quels que puissent être d'ailleurs ses mérites, est, techniquement parlant, de nulle valeur. Si l'activité morale ne peut jamais produire qu'un acte, si l'activité esthétique peut s'exprimer, mais n'est pas tenue de s'exprimer dans une oeuvre extérieure objective, l'activité technique trouve son type le plus achevé dans les arts qui fabriquent un objet. Enfin et surtout le résultat est tellement la seule chose qui importe dans l'activité technique qu'il peut indifféremment être obtenu par les méthodes les plus indirectes et les plus gauches pourvu que ces méthodes répondent à des considérations d'utilité, et par exemple de moindre dépense. Quand cette imperfection des méthodes serait un fait accidentel et tout humain, elle n'en était pas moins sur la voie du caractère interne et absolu que nous avons à coeur de bien saisir. En somme obtenir le plus de résultats possibles, le plus commodément possible, c'est à dire en empêchant le moins possible l'obtention de résultats dans d'autres séries techniques, voilà la fin et l'essence de tout art. "

Hamelin, Essai sur les éléments principaux de la représentation, 1907

 

 

Les considérations d'Hamelin portent sur l'activité technique.

Hamelin répond à la question de savoir quelle est la caractéristique essentielle de cette activité.

Il soutient la thèse selon laquelle «pour elle (l'activité technique) l'obtention du résultat qu'elle poursuit est tout.»

La réflexion d'Hamelin se déploie en deux temps principaux : après avoir énoncé sa thèse - en allant au devant d'une objection que l'on ne manquerait pas de lui opposer - Hamelin la démontre, en la donnant à vérifier par l'examen de ses conséquences.

 

Thèse: "La caractéristique véritable de l'activité technique, c'est que pour elle l'obtention du résultat qu'elle poursuit est tout."

Objection: "sans doute le résultat est subordonné au besoin du sujet, et sous ce rapport un art ne s'attache pas seulement à la réalisation d'une oeuvre objective."

Réponse à l'objection: "Mais d'une part l'activité technique prend le besoin comme un fait, n'en examine pas la valeur, et d'autre part, le besoin n'est pour elle qu'une condition extrinsèque et préalable. Un résultat étant donné comme but, la tâche propre de l'activité technique vient ensuite, et consiste à procurer le résultat."

DEMONSTRATION de la thèse par ses conséquences :

- "Si le résultat n'est pas atteint, l'activité qui l'a poursuivi, quels que puissent être d'ailleurs ses mérites, est, techniquement parlant, de nulle valeur."

- "Si l'activité morale ne peut jamais produire qu'un acte, si l'activité esthétique peut s'exprimer, mais n'est pas tenue de s'exprimer dans une oeuvre extérieure objective, l'activité technique trouve son type le plus achevé dans les arts qui fabriquent un objet."

- "Enfin et surtout le résultat est tellement la seule chose qui importe dans l'activité technique qu'il peut indifféremment être obtenu par les méthodes les plus indirectes et les plus gauches pourvu que ces méthodes répondent à des considérations d'utilité, et par exemple de moindre dépense. Quand cette imperfection des méthodes serait un fait accidentel et tout humain, elle n'en était pas moins sur la voie du caractère interne et absolu que nous avons à coeur de bien saisir."

Conclusion : "En somme obtenir le plus de résultats possibles, le plus commodément possible, c'est à dire en empêchant le moins possible l'obtention de résultats dans d'autres séries techniques, voilà la fin et l'essence de tout art. "

 

Intérêt philosophique du passage:

Hamelin montre (son texte est didactique, sa démarche raisonnée, argumentative) que, en fin de compte,c'est l'efficacité (nous dirions "le rendement" ) qui caractérise l'activité technique au sein des autres activités (celles évoquées: morale, esthétique) : la meilleure technique est la technique qui produit le plus d'effets escomptés pour une moindre dépense.

Il le prouve a) a contrario (pas de résultat, pas de valeur), b) par comparaison (avec les deux autres modes essentiels d'activité, où les résultats importent moins) c) par la recon. de la relativité des moyens (méthodes) à l'égard du résultat à obtenir.

Cette analyse permet de tempérer le caractère abrupt de la découverte que nous avons faite du lien (originaire) de l'invention technique à l'égard des besoins auxquels elle est sensée répondre:

Ce lien, nous dit Hamelin, est "extrinsèque", càd que, si la technique répond de fait à des besoins, sa qualité propre ne dépend pas directement à proprement parler de leur satisfaction. Ce qui veut dire en clair qu'elle est neutre à leur égard. Reste que l'univers de la technique est celui des moyens. La technique est instumentale par nature. => Paradoxe!

Si, comme le montre Hamelin la valeur de la technique (qui découle de son essence) réside exclusivement dans l'efficacité (càd l'aptitude à produire l'effet escompté) , il n'est pas étonnant que dans un monde comme le nôtre, où la technique occupe une place prépondérante, tout soit évalué en termes de rendement (de ressources, de niveau de vie, de croissance).

On comprend par ailleurs l'indifférence des techniciens à l'égard des conséquences de leurs productions. Si, au départ, ils répondent à une demande, c'est sans l'évaluer et sans davantage se soucier de savoir ce que leur réponse à cette demande pourra occasionner.

Le technicien apparaît ainsi comme un pur exécutant qui n'a pas à juger des fins poursuivies, mais à fournir les moyens de les atteindre le plus efficacement. C'est du pur savoir-faire, qui fait sa compétence, qu'il tient sa valeur.

Nous pourrions, à ce moment de notre réflexion, inclure une réflexion sur le fondement théorique de cette compétence, qui est pour une grande part affaire de savoir. Pour l'instant remarquons que lL'indifférence de la technique à la valeur des buts poursuivis grâce à elle n'est pas, sans dangers. Comme le disait déjà Sophocle de l'homme de la technique : L'homme "parcourt la mer qui moutonne quand la tempête souffle au sud, (...) et la mère des dieux, la Terre souveraine, (...) il la travaille, il la retourne. (...) Savoir et pouvoir dans l'art qui est le sien passent toute espérance, glissant tantôt au mal, tantôt au bien"

Platon déja, dans le Phèdre, faisait observer ceci : "...autre est celui qui est capable de mettre au jour les procédés d'un art, autre celui qui l'est, d'apprécier quel en est le lot de dommage ou d'utilité pour les hommes appelés à s'en servir ! "

Ces constats incite à penser la technique en se plaçant au point de vue de son sens et de sa valeur! (Cf. Trooisième partie du cours sur la technique)


© M. Pérignon