(1859-1941)
Henri Bergson, né en 1859 à Paris, fut un élève aussi brillant en sciences qu'en lettres. Fort doué pour les mathématiques, il s'engagea, néanmoins, dans la section « Lettres » de l'Ecole normale supérieure, où il entra, en 1878, dans la même promotion que Jean Jaurès .
Agrégé de philosophie en 1881, il soutient ses deux thèses de doctorat en 1889. Sa thèse principale (soutenue le 27/12/1889) était intitulée : "Essai sur les données immédiates de la conscience ".
Bergson poursuit ainsi une carrière exemplaire qui le conduit à un poste de maître de conférences à l'Ecole normale supérieure, puis à une chaire au Collège de France ( 1900). Il exercera, par ses cours du Collège, un prodigieux effet de fascination : Péguy, Maritain et bien d'autres, viennent en ce haut lieu de l'esprit.
Bergson, qui a publié Matière et mémoire (1896), Le rire (1899), L'évolution créatrice (1907), L'énergie spirituelle (1919), obtient le prix Nobel de littérature en 1928. En 1932, il publie Les deux sources de la morale et de la religion.
Attiré par le catholicisme, il renonce, néanmoins, à se convertir, en raison de la montée de l'intolérance et des persécutions antijuives. « Je me serais converti, écrit-il en 1937, si je n'avais vu se préparer depuis des années la formidable vague d'antisémitisme qui va déferler sur le monde. J'ai voulu rester parmi ceux qui seront demain persécutés. »
Il meurt le 4 janvier 1941.
La réflexion de Bergson se rattache à de multiples sources :
* Spencer (1820-1903), dont Bergson adopte la démarche précise, soucieuse des faits, prolongeant celle de la science. "La démarche de Spencer visait à prendre l'empreinte des choses et à se modeler sur le détail des faits." , écrit Bergson (PM p. 2) ou encore "Aujourd'hui encore je me rends compte de ce qui m'attirait chez Spencer, c'était le caractère concret de son esprit, son désir de ramener toujours l'esprit sur le terrain des faits." (C. Dubos, Journal cité p. 1542 in Oeuvres - PUF) Bergson ajoute par ailleurs l'importance de la perspective de l'évolution. Le développement des sciences de la vie et de l'homme au XIXème siècle impose la considération du changement et de l'évolution. Spencer, en introduisant au centre de ses perspectives cette dernière notion, répond aux exigences de l'époque. C'est sur ce point que Bergson insistera dans l'Evolution créatrice, p. 362-363. Mais Bergson n'est pas un simple disciple de Spencer. Il a conscience des insuffisances de la doctrine; celle-ci part des principes du mécanisme; mais la culture scientifique de Spencer est médiocre et de ce fait la base de sa doctrine fragile...
* William James (1842-1910), pour qui le vrai se définit par l'utile : la vérité n'est pas seulement une connaissance théorique, mais le fruit de nos moyens d'action et de notre pratique ;
* le spiritualisme français de Lachelier (1832-1918), mais aussi de Ravaisson (1813-1900), auteur d'une thèse célèbre sur l'Habitude (1839) ;
* plus profondément, la pensée de Bergson prend sa source dans la mystique, à commencer - semble-t-il *- par celle de Plotin ;
* "Pour ne prendre qu'un seul exemple, Plotin, il nous paraît maintenant assez clair qu'il n'existe entre Plotin et Bergson que des analogies superficielles, nombreuses il est vrai; que Bergson n'a lu Plotin très attentivement qu'après avoir écrit Matière et Mémoire et pour préparer L'Évolution créatrice; qu'il avait d'ailleurs hésité plusieurs fois, avant de lire Plotin à fond, sur la question de savoir s'il s'agissait ou non d'un penseur influencé par le judaïsme et le christianisme; qu'il a finalement tranché, en connaissance de cause, pour le caractère purement hellénique et même anti-oriental de Plotin; et qu'il n'a plus guère alors étudié Plotin que pour deux raisons: d'une part examiner en détail le développement d'une pensée diamétralement opposée à la sienne, et, d'autre part, en tirer d'utiles suggestions cosmologiques; qu'il a surtout pris, chez Plotin, ce qui vient des Stoïciens; que ce qui est plotinien chez Bergson, c'est l'idée qu'il se fait de l'évolution de la matière; qu'ainsi la conception de l'élan vital est à l'opposé de ces processus plotiniens. La métaphysique plotinienne ne forme que la moitié descendante de la cosmologie bergsonienne. Le seul vrai point commun entre Bergson et Plotin se trouve dans un certain rapport de la vie philosophique à la vie spirituelle et mystique. " (H. Hude, Bergson I, p. 14)
* Enfin, c'est contre le scientisme et le matérialisme de la fin du XIXe siècle que Bergson a voulu ouvrir de nouveaux horizons spirituels.
Hostile au positivisme scientiste et matérialiste, mais aussi aux philosophies intellectualistes, Henri Bergson a voulu opérer un retour aux données de l'intuition, coïncidence immédiate et spontanée avec un objet, permettant d'atteindre l'être profond des choses, lequel est durée pure et spirituelle, mais aussi liberté jaillissante.
Les concepts fondamentaux de la philosophie de Bergson sont les suivants :
* la durée, conçue comme profondément opposée au temps : la durée représente la succession même de l'esprit, une interpénétration concrète, alors que le temps est une idée mathématique (et spatiale) ;
* l'intuition, envisagée comme "sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et d'inexprimable" (PM p. 181) ;
* L'art est
défini par Bergson comme ayant pour but de provoquer une telle
intuition.
L'art nous détourne en effet de l'abstraction qui nous fait
perdre le contact avec les choses; il nous arrache aux
préoccupations pragmatiques par lesquelles nous
réduisons la réalité a de sommaires
schémas pour guider l'action; bref, il nous projette au
cur du réel, à la source jaillissante de la
création des possibles et de l'imprévisible. Avec
l'art, nous touchons du doigt ce que serait l'intuition de la vie qui
se donne comme durée vraie . " La philosophie, dit-il, est un
genre dont les arts sont les espèces. " Qu'il suffise donc au
philosophe d'accorder à l'artiste la considération
qu'il mérite: il vise, pour sa part, la connaissance du
général quand celui-ci poursuit dans ses uvres
l'incarnation du particulier.
Cf .in Les données immédiates de la conscience ce que dit Bergson du sentiment du beau pp. 10-12
* l'élan vital, exigence de création et impulsion originelle d'où est issue la vie : il fait surgir des réalités vivantes toujours plus complexes.
Cf. J. Russ, Les chemins de la pensée, Bordas pp. 411-412
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+ Jugement de Michel Serres sur la philosophie de Bergson
+ Ce qui est constitutif du bergsonisme
- Mais prenons Bergson par exemple. Je prends maintenant les philosophes mal aimés pour voir si notre discussion précédente permet de bien tester l'histoire de la philosophie et lève donc bien la difficulté majeure de lecture.
- Merci d'en parler. Bergson a posé de bons problèmes au bon moment, souvent très en avance sur son temps.
- Pourtant il y a chez Bergson une conception de la réification, de la géométrisation, qui est absolument contraire à votre anthropologie des sciences ?
- Distinguons deux choses, ce qu'il dit et comment il le fait. Son analyse critique de la métaphore solide est, à la lettre, sublime.
- C'est son style philosophique plutôt que les résultats qui vous intéresse.
- Oui."
Éclaircissements, p. 225
"Quant à la structure, cette pensée est indubitablement une philosophie biblique. Henri Bergson est un fils d'Israël, un croyant du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, un disciple des prophètes dont l'élan s'épanouira dans le Christ des évangiles. Cette netteté structurale de sa pensée n'exclut nullement l'emprunt de techniques philosophiques à la réflexivité cartésienne ou à la méditation néo-platonicienne.
Toute entière centrée sur le problème de Dieu, qui se trouve atteint d'abord par la voie intérieure: car la liberté prouve Dieu, et c'est la portée de l'Essai sur les données immédiates de la conscience. Dieu est atteint ensuite par la voie extérieure, dans l'Evolution créatrice, puis par une troisième voie qui combine les deux premières de manière originale tout en proposant le critère d'un choix raisonnable entre les religions positives.
Les deux inflexions principales de cette philosophie se trouvent, l'une à l'époque de Matière et Mémoire. C'est alors que Bergson passe d'une problématique cartésienne, idéaliste par méthode, à un réalisme post-critique d'inspiration aristotélico-stoïcienne; l'autre inflexion se situe après l'Evolution Créatrice, époque où la question de Dieu se repose à Bergson, non plus en termes de science métaphysique à acquérir, mais en terme de foi à donner."
H. Hude, les Cours de Bergson, in Bergson, naissance d'une philosophie PUF p.31
"Ce qui ressort le plus manifestement de la lecture des Cours, c'est que Bergson a toujours été spiritualiste, et d'un spiritualisme théiste et créationniste au sens chrétien du mot. Nous ne parlons pas ici des convictions religieuses de Bergson, en particulier de celles qui l'habitaient en ses dernières années. On a exagéré le catholicisme de Bergson. Mais on a aussi méconnu trop souvent, et par un contresens véritablement diamétral, la signification tout simplement judéo-chrétienne de sa métaphysique de la création."
H. Hude, Bergson I p.13