Michel Serres

 

 

 

Philosophe français, né à Agen le 1er septembre 1930.

 

Une philosophie de la communication

La notoriété de ce franc-tireur de la philosophie s'est peu à peu étendue jusqu'à devenir célébrité lorsqu'en 1991. Son essai, le Tiers instruit, l'un des succès de l'année, accompagne son entrée à l'Académie française (le 31 janvier). Un succès qui rejoint à ses yeux celui des sciences et de leur histoire, dont il s'est fait le théoricien.

L'exigence du philosophe de comprendre le sens des choses, Michel Serres l'applique aussi à sa propre existence : son attachement à ses origines « de paysan de la Garonne » est pour lui l'occasion de souligner l'importance, pour chacun, des « racines ».

 

Dispenser la culture

Descendant d'une lignée de mariniers-paysans, élève de l'École navale et de l'École nationale supérieure, il rappelle que la culture, c'est aussi bien le travail de la terre que la connaissance intellectuelle, et insiste sur les vertus du métissage culturel, invoquant Hermès, le dieu grec qui symbolise la notion clé, à ses yeux, du monde contemporain : la communication. Rien d'étonnant, ainsi, à ce qu'il soit enseignant et historien des sciences, la science, qu'il considère comme la religion de notre temps et dont la connaissance lui paraît indispensable pour philosopher &endash; ne serait-ce que parce qu'elle permet de s'interroger directement sur les choses et le monde, pas seulement sur les mots qui les désignent. D'où le crédit qu'il accorde aux sens, dans la vie comme dans l'art ou la littérature. Mais devenir un scientifique, il y a renoncé à quinze ans, lorsque la bombe atomique s'écrasa sur Hiroshima et qu'il s'aperçut que la science pouvait servir la mort; une mort dont la guerre avait montré les visages, le laissant durablement méfiant à l'égard de la politique.

 

Chercher le savoir

Revendiquant la diversité pour le philosophe, et plus généralement pour l'« honnête homme » cultivé en ce qu'elle lui paraît le signe même de l'identité de chacun, Michel Serres aime évoquer la figure de l'arlequin habillé de pièces de tissu différentes ou encore celle du renard capable de passer partout.

En 1968, il participe avec Michel Foucault aux débuts de l'université de Vincennes. C'est cette même année que paraît son premier ouvrage, la thèse qu'il a consacrée à Leibniz, philosophe mais aussi mathématicien (le Système de Leibniz et ses modèles mathématiques). Suivra, de 1969 à 1980, la série de cinq livres intitulée Hermès, où sont développées les multiples facettes de sa réflexion sur les sciences, et surtout de leur « transposition », à chaque époque, dans les autres domaines de l'activité humaine : la géométrie classique se retrouve dans l'architecture de Versailles, l'ordonnance du discours de Bossuet, l'épure de la tragédie racinienne, la conception de la nature humaine. Le message passe d'un ordre à l'autre, au prix de quelque « bruit » et de quelques « parasites »; l'ensemble forme non un territoire bien découpé, mais une nébuleuse fluctuante (le Passage du Nord-Ouest, 1980). Aussi Michel Serres s'efforce-t-il de repérer les données stables (Naissance de la physique dans le texte de Lucrèce 1977; Genèse, 1982; Rome, le livre des fondations, 1983), sur lesquelles l'homme peut fonder sa réflexion et son action, ou plus exactement la turbulence qui va donner vie et sens au chaos initial : penser le multiple, le complexe, et saisir l'organisation dynamique que leur apportent les « transactions » esthétiques (Jouvences sur Jules Verne, 1974; Esthétiques sur Carpaccio, 1975; Zola, feux et signaux de brume, 1975) et scientifiques, mais aussi l'imagination du quotidien capable de faire ressentir, dans toute leur force naturelle, les beautés d'une idée, d'un passage, d'un être (Détachement, 1983; les Cinq Sens, 1985). Avec Statues (1987), méditation sur la mort, s'ouvre une nouvelle période qui se poursuit avec le Contrat naturel (1990), qui en appelle à un rapport différent à la nature, et le Tiers instruit (1991) qui traite de l'éducation et du célèbre métissage culturel.

 

D'une société de communication à une société de la pédagogie

Michel Serres s'est engagé dans un combat pour la culture contre l'exclusion et contre la violence à la télévision (les Messages à distance 1995). Dans cette perspective, il est entré au comité directeur de la Cinquième chaîne française, « dans l'espoir de faire un jour de l'enseignement multimédia, dont la télévision n'est qu'une partie ». Le philosophe est confiant dans l'outil multimédia, nouveau moyen de diffusion du savoir &endash; que l'État ne pourra plus s'approprier. Cet « honnête homme » du XXe siècle apprécie la gratuité des connaissances dispensées par Internet et constate que « chaque fois qu'il y a un changement de support, il y a un Socrate qui engueule un Platon », comme ce fut le cas pour le passage de l'oral à l'écrit; le rapport maître à enseigné va devenir « plus horizontal » du fait de la distinction des lieux entre la source du savoir et sa réception, ce qui contribuera peut-être à la création de professeurs nomades, comme Serres en a toujours souhaité l'existence, et comme il en exista aux meilleurs moments de l'université médiévale puis de l'humanisme de la Renaissance.

 

© Hachette, Encyclopédie Multimedia 1998