Le  langage

 

 
 
Plan
Introduction
La question du langage animal

Questions que soulève le langage

 I .Le langage, discriminant ontologique fondamental

1. Analyse cartésienne

2. Spécificité du langage humain

II. Pouvoir conféré à l'homme par le langage

1. Le pouvoir combinatoire de la raison

2. La question des fonctions du langage

Conclusion

Ouverture à l'universel

 


 

Introduction

 

La question du langage animal : un langage des abeilles ?

 

 

 
Cf. Karl Von Frisch, l'homme et le monde vivant

 

K. von Frisch parle du "langage" des abeilles comme s'il s'agissait d'un comportement humain, avec les risques d'anthropomorphisme que cela comporte.On peut reconnaître ce qui apparente le comportement des abeilles décrit par K. von Frisch à un langage. Il y a communication d'informations: le comportement des butineuses est visiblement modifié par celui des éclaireuses.

Un tel "langage" est toutefois fort limité. Il l'est à un besoin particulier à l'espèce des abeilles, celui de butiner. Il est inné et, en conséquence, immuable. Enfin, il n'offre aucune possibilité de dialogue entre les abeilles, il ne donne lieu à aucune réponse de la part des butineuses.

On ne peut parler de "langage" des abeilles que par analogie. En fait il s'agit d'un pur code de signaux !

 

Questions que soulève le langage

Les questions que soulève le langage sont essentiellement de trois ordres : elles portent sur
- la nature et l'origine du langage,

- Les fonctions du langage,

- Les rapports du langage et de la pensée

 

 

Première partie :

Le langage, discriminant ontologique fondamental

 

 

1. Analyse cartésienne

 

Pourquoi partir de Descartes ? Noam Chomski, un des plus grands linguistes contemporains qui est parti de lui, va au-devant de deux objections que l'on pourrait élever à l'encontre de l'importance qu'il accorde lui-même à la conception cartésienne du langage. Il écrit, en introduction à son livre intitulé La Linguistique cartésienne :"Descartes n'accorda que peu d'attention au problème du langage, et les quelques réflexions qu'il y consacra sont sujettes à diverses interprétations. Chacune de ces objections a un certain poids. Néanmoins il me semble qu'il existait à l'époque dont je parle ici (les XVIIe et XVIIIe siècles), un développement cohérent et fructueux de tout un corps d'idées et de conclusions ayant trait à la nature du langage; ce développement est associé à une certaine théorie de l'esprit, et peut être considéré comme un fruit de la révolution cartésienne." Chomski reconnaît avoir découvert grâce à Descartes que le langage ne peut se comprendre que comme instrument de la pensée. Ses travaux de linguiste l'amènent en effet à penser que le langage est essentiellement un organe d'expression de la raison, le milieu de développement de la réflexion, et donc de la conscience.

On ne trouve guère chez Descartes deux analyses consacrées au langage, l'une de 1637, dans le Discours de la méthode, l'autre dans une lettre de 1646 au Marquis de Newcastle. Deux textes, cela semble peu en effet. Toutefois ce qu'il dise est crucial: le langage permet d'affirmer la spécificité de l'homme, en tant que RES COGITANS, définie par la pensée. Pour Descartes le langage est rien moins pour Descartes que le discriminant fondamental de l'homme et de l'animal.Descartes pense qu'un automate, qui serait très perfectionné, pourrait faire tout ce qu'un corps, peut faire. Mais ni la machine, ni l'animal ne sauraient vraiment parler, càd faire signe "à propos des sujets qui se présentent sans se rapporter à aucune passion ", ce que seul l'homme est capable de faire. L'animal, comme la machine, n'agissent pas à proprement parler. Ils sont agis, ils ré-agissent. Leurs mouvements sont l'effet pur et simple de causes "mécaniques". Quand bien même ils proféreraient des sons, ces sons seraient mécaniquement provoqués. Le langage par contre est la manifestation de la présence agissante de la pensée !

 

2. Spécificité du langage humain. Cf. R. Ruyer, L'homme, l'animal, la fonction symbolique

 

Toute la différence entre le langage animal et le langage humain se situe dans le passage de l'usage de stimuli-signaux à celui de signes-symboles. Alors qu'un signal fait réagir, un signe fait penser.

Le signal est en effet quelque chose qui désigne quelque chose d'autre qu'il indique ou demande. C'est un stimulus, càd quelque chose de sensible qui a pour fonction de provoquer une réaction, de faire faire (et non de donner à penser). En présence d'un feu rouge, l'automobiliste s'arrête : il ne sa met pas à évoquer je ne sais quelle considération que lui suggérerait la rougeur du feu de signalisation routière! Comme le dit Ruyer, les stimuli-signaux et, avec eux le "langage" animal, sont des "instruments d'action immédiate ", ce qu'avait perçu Descartes, qui évoquait les automates pour en parler.

Le signe-symbole est "un instrument de pensée et non seulement d'action immédiate ". Il permet l'évocation inactuelle! C'est précisément le jour où Helen Keller cesse de réagir aux stimuli-signaux, auxquels sa gouvernante l'a conditionnée, qu'elle comprend que les mots ont un sens et qu'elle devient capable de "parler"( avec le langage tactile des sourds-muets). Ainsi, jusque-là elle n'avait fait que réagir au mot eau. A présent ce mot évoquait pour elle l'eau elle-même, "ce quelque chose de merveilleux qui était en train de couler sur sa main.".

Le passage du langage animal au langage humain , qui passage de l'usage de signaux à celui de signes, est d'un enjeu considérable. Avec lui se fait le passage de l'animalité à l'humanité!  On comprend dès lors que le langage puisse servir de discriminant ontologique fondamental.

Comment le passage de l'usage du signal à celui du signe se fait-il ? Ce passage, dit Ruyer, se fait "par un changement fonctionnel d'apparence insignifiante, par une mutation mentale qui n'impliquait pas la moindre mutation organique, ou qui ne demandait aucune animation nouvelle et miraculeuse ". Cette mutation, c'est la distanciation psychique à l'égard des sollicitations adaptatives immédiates, une sorte d'inhibition fonctionnelle de l'arc réflexe qui associe mécaniquement un stimulus à une réponse. Au lieu de réagir, le cerveau se met alors à évoquer, à former des représentations, en un mot à penser. Or pour penser, pour évoquer, pour se représenter quelque chose, il faut manier cérébralement des signes-symboles, représentants mentaux de ce qui est évoqué ! Par où m'on voit l'indiossociabilité de la pensée et du langage.

 

 

Deuxième partie :

Pouvoir conféré à l'homme par le langage

 

 

1. La fonction combinatoire de la raison

Le langage confère à l'homme le pouvoir de construire des énoncés en nombre illimité à partir d'un nombre réduit de signes. Cette fonction combinatoire témoigne du pouvoir de la raison, présente en tout homme, fût-il le plus hébété. Cf. Descartes, Discours de la méthode  : " Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ".

Ce pouvoir, illimité, se rencontre en l'homme seul et n'est pas conditionné par la présence d'organes spécifiques, ainsi que le montre le cas des sourds-muets, capables de communiquer sans recourir à leur larynx.

 

2. La question des fonctions du langage

A première vue, celle à laquelle, étrangement, la plupart des linguistes se limitent, en confondant l'usage avec la fonction, le langage semble remplir une fonction de communication. En fait et en droit la communication semble bien n'être qu'une fonction secondaire du langage ! "On cherche probablement dans une mauvaise direction quand on cherche l'origine du comportement symbolique dans l'intention de communication... Une communication se fait spontanément par signes-signaux plutôt que par signes-symboles. Son côté pragmatique, immédiatement utilitaire, empêche, plutôt qu'il ne favorise le changement de fonction du signal en symbole. Le chimpanzé qui aurait réussi à mettre en réserve matériellement et cérébralement un bâton, se garderait bien, par définition, de révéler la cachette à ses congénères. Un arrêt de l'action immédiate et de la communication est au contraire la condition indispensable de l'expérience mentale et du comportement symbolique. L'animal communique spontanément des besoins actuels. Les premières "conceptions" de l'animal-homme ont dû se produire en dehors de, et même en opposition avec les pantomimes de communication." (R. Ruyer, l'homme, l'animal, la fonction symbolique). Pour parler ne faut-il pas avoir d'abord quelque chose à dire, et donc penser ! La fonction originelle, première, du langage humain est d'être l'organe de la pensée ! Ce n'est qu'ensuite et accessoirement qu'il pourra remplir d'autres fonctions, qu'il pourra servir d'instrument de communication, d'action (magique ou politique) ou d'expression (poétique) en donnant toujours en encore à penser ...

 

Conclusion

 

Le langage est ce par quoi se réalise en l'homme l'ouverture de son être hors de l'immédiateté de l'instant, et ainsi à l'universel. Parlant d'Helen Keller, Raymond Ruyer peut écrire : " Désormais, elle n'était plus dans un Umwelt animal, mais dans le monde. Elle était dans le monde non comme dans un lieu de "déréliction" et d'angoisse, mais dans le monde comme ensemble des choses et des êtres consistants. Et grâce aux symboles du langage, elle pouvait désormais jouer le "jeu du monde", imiter le Macrocosme dans le Microcosme du jeu des mots. "

 

 


 

© M. Pérignon