Sujet : peut-on douter de tout ?
"Doutons même du doute " conseillait Anatole France pour réussir à combler notre besoin de certitude. Ce conseil certes surprenant, rejoint la pensée de plusieurs philosophes de Socrate à Nietzche. Mais est-il réalisable?
Ainsi nous pourrons nous demander s'il est possible de douter de tout . Pour cela, il faudra d'abord définir le sens de la question puis nous réfléchirons sur le fait qu'il existe des raisons de le penser et nous montrerons enfin ce que cela apporte à l'homme, voire à la société en général.
Que peut bien signifier "douter de tout"? Refus d'un assentiment quelconque? Non, cette démarche va beaucoup plus loin dans la réflexion. Elle consiste à remettre en cause toutes nos certitudes (ou, du moins, ce qu'on considère comme tel) quelque soit le domaine, c'est à dire à nier l'ensemble de nos connaissances, sauf ce qui s'exprime si clairement que l'on ne peut en douter, j'ai nommé l'évidence. Une telle épreuve requiert de nombreuses qualités et l'on peut également se demander si une telle action est légitime, c'est à dire si nous avons le droit de le faire. Ainsi nous pouvons dire que notre étude porte sur l'interrogation suivante: "Avons-nous les capacités de tout remettre en question ? Et si oui, quelles sont les conséquences ? Sont-elles bonnes?
Pour se demander cela, nous admettons que nous croyons avoir des certitudes inébranlables ainsi que le fait que nous sommes des êtres capables de douter ou de penser. De plus on peut admettre que le philosophe pense à utiliser le doute radical pour tenter d'obtenir une réponse tendant vers la vérité.
Notre étude montrera l'importance du doute pour démontrer que si les certitudes réussissent le test du concept, alors elles sont véridiques ou, plus généralement, si le doute est applicable à toutes choses.
Ainsi nous nous demanderons successivement Quelles sont les raisons qui peuvent nous pousser à douter de tout ? Qu'est-ce qu'un tel doute peut nous apporter ?
Dans Méditations métaphysiques Descartes expose une méthode pour douter d'absolument tout. Pour lui, c'est le fruit d'une décision volontaire. En effet, déçu par l'enseignement prodigué par ses maîtres, il décida de " s'appliquer sérieusement et avec liberté à détruire généralement toutes ses anciens opinions ", c'est-à-dire les jugements qu'il considérait comme vrais. Pour cela, il décide de soumettre toutes ses opinions à un doute systématique, même ce qui n'est pas d'une fausseté évidente. Cette pratique demande des conditions psychologiques particulières. Il faut dans un premier temps avoir une certaine maturité : ainsi Descartes a attendu " d'atteindre un âge qui fut si mûr ", même si celle-ci varie selon l'individu. En outre, il faut être douté d'une grande patience, car c'est une entreprise " fort grande ".
Aussi l'esprit peut se relâcher en cours de route, c'est pourquoi Descartes nous propose l'hypothèse d'un " Malin Génie qui nous trompe ", qui correspond à une méthode d'auto- persuation : puisque tout ce nous prenons pour vrai est faux, nous pouvons par conséquent n'avoir aucune certitude !
Cette pratique cartésienne requiert aussi des conditions sociales très particulières. En effet, une telle réflexion nécessite " une paisible solitude ",c'est-à-dire un isolement total
caractérisé par la solitude, la tranquillité d'esprit et surtout un repos intellectuel et affectif : il ne faut en aucun cas être dérangé par des " passions ".
A la vue des capacités exigées, il semble que n'importe quel individu, étant de nature décidée et volontaire, puisse reconsidérer ses certitudes. C'est d'ailleurs le cas des moines tibétains, qui acceptent l'isolement total pour s'interroger sur le sens global de la vie.
De surcroît, il existe de nombreux arguments nous invitant à douter de tout.
Dans La Première Méditation, Descartes nous en propose quelques uns.
D'abord, nous pouvons douter des apparences. En effet, combien de fois n'avons - nous pas été trompé par nos cinq sens ? La science, par exemple, met en évidence cette " faiblesse " avec les illusions d'optique ou plus simplement avec le phénomène du mirage dans le désert.
Mais ces apparences peuvent aussi nous jouer des tours par le biais du rêve. En effet, il nous arrive de considérer nos songes comme la réalité ! Cette réaction est vérifiable grâce à notre comportement lorsque nous sommes en proie à de terribles cauchemars : sueurs, cris, débattements... Dans ce cas, n'avons-nous pas considéré comme vrai, ce qui n'était qu'illusion ?
D'un autre côté, nous pouvons nous interroger sur le raisonnement scientifique. En effet, au dix-septième siècle, Descartes, dans la Première Méditation, affirmait que " la physique, l'astronomie, la médecine et toutes les autres sciences qui dépendent de la considération des choses sont fort douteuses et incertaines " car elles reposaient sur des suppositions ou pire, en ce qui concerne la météorologie sur des récits religieux. Donc aucun raisonnement ne pouvait soutenir de telles thèses ainsi la possibilité de douter était omniprésente.
Ces arguments peuvent être complétés par les notions suivantes. En général, on ne peut avoir de fondements assurés car nous vivons dans un monde en perpétuelle évolution et dans lequel la certitude d'un jour, sera remise en question le lendemain. Ainsi les certitudes sont extrêmement rares, voire impossibles.
Même si beaucoup prétendent avoir confiance en une personne, comment peut-on affirmer connaître toute l'étendue, ô combien complexe de la personnalité d'un individu ? Ainsi comment prétendre n'avoir aucun doute sur son prochain ? Le cas des " serial killers " me semble être une parfaite illustration. En effet, beaucoup de leurs voisins auraient juré que ces êtres étaient incapables de tuer une mouche.
On peut également comprendre que le doute radical existe grâce à l'impossibilité d'être objectif . En effet, toute vision ou reconstitution d'un fait est une interprétation subjective. Ainsi dans quelle mesure pourrait-on avoir toute confiance dans le monde de l'information et en particulier dans les médias ?
Ainsi nous pouvons conclure que nous possédons les facultés de nous interroger sur l'ensemble de nos prétendues certitudes, même s'il nous faut l'aide d'une méthode rigoureuse. C'est pourquoi nous pouvons à présent dire ce que nous apporte une telle réflexion.
Sur le plan scientifique, le doute est un mode de raisonnement qui permet de remettre en cause les thèses erronées. Ainsi le doute permet " d'établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences " selon Descartes. Cette idée est partagée par Copernic et Galilée, que l'on peut considérer comme les précurseurs dans le monde de l'astronomie. En effet, en refusant les thèses de leur époque, ils ont découvert que pourtant " ELLE (la Terre) tourne ".Ainsi " douter de tout " permet d'apporter des bases solides à la connaissance.
Sur le plan culturel, cette réflexion permet une certaine ouverture d'esprit en délivrant notre âme de ses préjugés. En effet, en doutant de tout, il est impossible d'avoir des idées arrêtées car tout ce qui n'est pas évident peut être réfuté. Ainsi les évidences en ressortent renforcées. C'est pourquoi le célèbre " cogito " " je pense donc je suis ", qui découle de la
généralisation du doute, devient la base du raisonnement philosophique de Descartes. Cette idée se retrouve dans les Méditations Métaphysiques, ou Descartes considère le concept du cogito comme " le terre ferme sur laquelle il a posé les fondements de sa philosophie ".
Le passage par une critique radicale permet de prendre du recul par rapport à nos sens. En effet, après avoir montré leur aspect trompeur, maintenant nous avons la possibilité d'acquérir " la prudence de ne se fier jamais entièrement " (Méditations Métaphysiques). Ainsi on ne tiendra plus pour vrai ce qu'on croira voir mais il faudra montrer la véracité de ce que l'on croira apercevoir ou sentir.
Mais il existe aussi des répercutions psychologiques. En effet, on est libéré des erreurs accumulées par notre esprit depuis l'enfance et l'on ressent par conséquent un certain soulagement.
Enfin, du point de vue sociologique, cette démarche peut entraîner deux réactions possibles de la part des autres. Une certaine admiration par ceux qui sont impressionnés par le travail réalisé mais d'un autre coté, on peut avoir affaire au mépris ressenti par ceux qui vous considère comme un fou. Ainsi un tel raisonnement peut faciliter ou empêcher l'intégration à un groupe. Le cas de Socrate est une excellente illustration car ce célèbre personnage était adoré par ses disciples mais, d'un autre côté, il a été condamné à mort par les représentants du peuple athénien.
A la vue de ce qui découle de ce mode de pensée, on peut dire qu'il est bon de douter de tout.
Ainsi on peut conclure qu'il est possible de douter de tout et qu'il est même profitable d'user d'un tel dispositif critique. On aurait toutefois tord d'être excessif dans l'action même de douter, c'est-à-dire de nier les bases solides et véridiques de tout raisonnement : un doute sans auto-limitation n'aurait-il pas pour effet de conduire au scepticisme ?
Aline Tres, élève au lycée Saint Pierre Chanel de Thionville
année scolaire 1999-2000© M. Pérignon