Sujet : Toute vérité est-elle démontrable ?

 


Indications sommaires

La question posée porte sur
"toute vérité", càd sur quelque jugement que ce soit, tenu pour conforme à la réalité et elle demande de chercher à savoir si , quelque soit ce jugement, autrement dit quels qu'en puissent être la nature et l'objet, il "est démontrable" autrement dit s'il est susceptible d'être vérifié au moyen d'un raisonnement grâce auquel il serait déduit ou induit de "vérités" elles-même déjà vérifiées.

Cette question présuppose qu'il y ait des vérités démontrables, ainsi que les mathématiques, par exemple, tendraient de le donner penser, mais que, par ailleurs, il puisse y avoir des vérités que l'on ne puisse pas démontrer, soit parce qu'elles seraient des vérités premières, qui relèveraient de la seule intuition, soit, par exemple, parce qu'elles seraient condamnées à faire l'objet d'hypothèses que l'expérience pourrait être amenée à récuser un jour, comme c'est le cas dans le domaine des sciences expérimentales.

 

En demandant si tout vérité est démontrable, on veut délimiter le champ de nos certitudes et nous inciter ainsi à rester non seulement prudents dans l'énoncé de nos propres certitudes mais aussi à être respectueux de celles des autres, en faisant ainsi preuve de tolérance à leur égard !

 

Pour répondre à la question, il est possible, dans un premier temps, d'examiner ce qui pourrait conduire à penser que toute vérité (en tant précisément qu'elle est une vérité, càd en tant qu'elle est un jugement conforme à ce qui est) est susceptible d'être démontré. Il conviendra alors, dans un second temps, d'examiner les raisons que l'on pourrait logiquement avoir de penser qu'aucune vérité ne sera jamais finalement parfaitement démontrable, du fait qu'elle ne pourra, pour être démontrée, qu'être déduite de vérités antérieures. Il sera alors possible, dans un dernier temps, de faire la part entre les vérités qui peuvent être en partie démontrées de celles qui ne sauraient l'être et en tirer les conséquences qui s'imposent concernant la nécessité de cultiver un esprit critique et ouvert.

 

 


Interview de Marc de Launay, philosophe, chercheur au CNRS et directeur de collection aux Éditions Bayard.

« Toute vérité est-elle démontrable ? Nous voici face à un double problème : la diversité de la vérité et le lien entre vérité et démonstration. Quand on parle de vérité démontrable , on pense au modèle mathématique. Mais dans le domaine scientifique, il existe une histoire de la démonstration. On n'a pas toujours tout démontré. Il faut du temps pour progresser dans la démonstration. Nous pourrions développer alors la réflexion sur le rapport de la vérité à l'histoire : que reste-t-il de vrai à travers l'histoire, et non malgré l'histoire ? De Newton à Einstein, il n'y a pas eu réfutation de la vérité mais marginalisation de la théorie de Newton.

Il faut aussi considérer ce que l'on peut entendre par vérité esthétique, politique, religieuse... Dans ces domaines, nous nous situons à l'opposé de la vérité démontrable . Le miracle, par définition, échappe à toute démonstration. De même la beauté d'un tableau, un principe moral ou politique ne peuvent être démontrables. Mais, alors que les vérités démontrables sont faibles, ces vérités de foi ou de croyance peuvent être assez puissantes pour encadrer toute une existence. S'agit-il de vérité moindre ? Non, car nous vivons dans un monde où la conviction et la croyance jouent un rôle essentiel.

Enfin, on doit s'interroger sur la vérité philosophique qui prétend être le résultat d'une démonstration logique. Un argument philosophique n'est valide que s'il recueille un assentiment universel. Mais cette démonstration logique de la vérité philosophique n'exclut pas l'histoire ou la dimension temporelle. La vérité philosophique admet les deux pôles : celui de la réflexivité humaine avec sa finitude, sa limitation dans l'histoire. Et en même temps la capacité à élaborer des concepts transhistoriques.

La question qui se profile en arrière-plan est de savoir quelle vérité nous sommes capables de produire. Incontestablement, il existe des vérités au sens faible du terme qui sont les vérités scientifiques. Nous pouvons les produire car nous sommes capables de conceptualiser des phénomènes. Mais les vérités qui décident de notre vie en général nous obligent à les reconstruire sans cesse ; nous pouvons le faire car notre réflexivité, elle, est une capacité qui traverse l'histoire. »

Recueilli par Bernard GORCE

Paru le: vendredi 11/06/2004 dans le Journal LaCroix p. 15

 
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