Nietzsche

Par-delà le bien et le mal

cinquième partie

 

§ 195

 

 

Die Juden - ein Volk "geboren zur Sklaverei", wie Tacitus und die ganze antike Welt sagt, "das auserwählte Volk unter den Völkern", wie sie selbst sagen und glauben - die Juden haben jenes Wunderstück von Umkehrung der Werthe zu Stande gebracht, Dank welchem das Leben auf der Erde für ein Paar Jahrtausende einen neuen und gefährlichen Reiz erhalten hat: - ihre Propheten haben "reich" "gottlos" "böse" "gewaltthätig" "sinnlich" in Eins geschmolzen und zum ersten Male das Wort "Welt", zum Schandwort gemünzt. In dieser Umkehrung der Werthe (zu der es gehört, das Wort für "Arm" als synonym mit "Heilig" und "Freund" zu brauchen) liegt die Bedeutung des jüdischen Volks: mit ihm beginnt der Sklaven-Aufstand in der Moral.

Les Juifs &emdash; un "peuple né pour l'esclavage", comme le dit Tacite et toute l'antiquité avec lui - "peuple élu entre tous les peuples", comme ils le disent eux-mêmes et le croient - les Juifs ont accompli ce prodigieux renversement des valeurs grâce auquel la vie terrestre a connu pour quelques millénaires un nouvel et dangereux attrait. Leurs prophètes ont fondu en une seule notion le "riche", l'"impie", le "méchant", le "violent", le "sensuel " et pour la première fois ont donné un sens infamant au mot "monde". C'est dans ce renversement des valeurs (qui a fait du mot "pauvre" le synonyme de "saint" et d'"ami") que réside l'importance du peuple juif; c'est avec lui que commence l'insurrection des esclaves en morale.

 

Le renversement des valeurs de la morale des esclaves

 

Dans ce § Nietzsche prend la morale juive pour objet de son "histoire naturelle".

Morale d'un "peuple d'esclaves" pour ses voisins (selon le mot de Tacite) - De fait captivité en Egypte, à Babylone, soumission à Rome.

Morale d"un "peuple élu" à ses propres yeux - De fait, dès ses origines ethniques, Israël a conscience d'avoir un destin différent de celui des autres peuples: il considère qu'il a été choisi par Yahweh pour être son peuple. Cf. Dt 7, 8: "C'est toi que Yahweh ton Dieu a choisi"

Morale d'un peuple qui, nous dit Nietzsche, dans un renversement de valeurs sans précédent, aux effet millénaires (Cf. § 250) a promu la morale d'esclaves en révolte (Cf. § 46; § 260 fin)

Morale caractérisée par l'identification (oeuvre des Prophètes) de la sainteté et de la pauvreté , càd par le renoncement au désir, naturel, de possession - déviation pour Nietzsche de la volonté de puissance cf. § 51 - décrit dans le § précédent.

L'Umkehrung est radicale. C'est un Wunderstück, un coup d'éclat, un prodige : les valeurs sont mises sens dessus-dessous, "inversées".

Richesse , impiété, violence, malignité, sensualité sont con-fondues (in eins geschmolzen) dans une même dévaluation. Elles deviennent des valeurs négatives, des anti-valeurs: "heureux les pauvres", "heureux les craignants-Dieu", "heureux les Justes", "heureux les doux", "heureux les miséricordieux", "heureux les coeurs purs". On retrouve presque béatitude pour béatitude le Sermon sur la Montagne de Mt 5, 3-8.

Le monde est frappé (gemünzt) d'ignominie. Il devient (Cf. Jn 5, 19, Paul) le repère de Satan, soumis aux forces du mal. - L'image de la frappe mérite d'être relevée: dans la Généalogie de la Morale, Nietzsche parlera des ouvriers de l'Umkehrung en termes de faux monnayeurs .

Le pauvre, celui qui ne possède pas, le démuni, est béatifié: son nom devient synonyme de "saint": il est l'ami (celui que l'on doit aimer - d'amour-charité - et que Dieu préfère. (Cf. Mt 11, 5. Venue du Messie: la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres.)

N.B. Le renversement, tel que Nietzsche le décrit, est l'oeuvre du peuple Juif ou du Christ, ou bien des deux à la fois? Avons-nous affaire, dans ce §, à l'histoire naturelle de la morale chrétienne, de la morale juive ou de la morale judéo-chrétienne?

Pour répondre à cette question, il convient de considérer la pauvreté. Quel en est le concept biblique?

Oubliés de la littérature grecque et romaine, les pauvres tiennent, il est vrai, une grande place dans la Bible. Mais pour l'Ancien Testament la pauvreté est un scandale. Loin de considérer spontanément la pauvreté comme un idéal spirituel, Israël y voyait plutôt un pis-aller à supporter, et même un état méprisable, dans la mesure où une conception (longtemps imparfaite de la rétribution des richesses) regardait les richesses comme une récompense certaine de la fidélité à Dieu (Cf. Ps 1, 3; 112, 1-3)

Les Prophètes de l'Ancien Testament ne canonisent pas la pauvreté, ils en décrivent l'affreuse détresse (Jb 24, 2-12) et s'en font les défenseurs attitrés. Ce sera, pour eux, une tâche du Messie de défendre les droits des miséreux et des pauvres (Is 11, 4; Ps 72, 2ss; 12ss). Leur détresse est un titre à l'amour de Dieu ( ils doivent leur misère à ses ennemis !)

Nietzsche en cela a raison: les pauvres sont considérés - dans les Psaumes - comme les amis de Yahweh (Cf. Ps 86)

Conclusion: Il faudra attendre l'enseignement de Jésus pour que les pauvres soient proclamés heureux. Mais, là encore, il y a ambiguïté: la pauvreté n'est pas un bien, une valeur en soi. Heureux, les pauvres le sont parce que Dieu vient à eux en la personne de son Fils, du fait de son amour et non de leur état !

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Traduction et commentaire

© M. Pérignon