Un mot encore contre Kant moraliste. Une vertu doit être notre invention, notre défense la plus personnelle et légitime dans le besoin : prise dans un tout autre sens, elle n'est qu'un danger. Ce qui n'en est pas une condition vitale nuit à notre existence: une vertu est nuisible quand elle ne tient qu'à un sentiment de respect pour l'idée de « vertu » comme le voulait Kant. La « vertu », le « devoir », le « bien en soi », le bien à caractère d'impersonnalité et d'universalité, autant de chimères où s'expriment la décadence, l'exténuation finale de la vie, toute la chinoiserie à la marque de Königsberg .

Les profondes lois de la conservation et de la croissance exigent le contraire: que chacun s'invente sa vertu, son impératif catégorique. Un peuple va à sa perte quand il confond son devoir propre avec l'idée générale du devoir. Rien ne cause de ruine plus profonde, plus intérieure, que toute forme de devoir « impersonnel » de sacrifice au Moloch de l'abstraction. Et dire que l'on n'a pas senti ce danger mortel qu'est l'impératif catégorique de Kant !

 

Nietzsche, L'Antéchrist (1888)

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