Il est question de droit et de justice là où il y a une sorte d'égalité, d'équivalence entre deux opérations. Dans l'ordre humain, cette équivalence peut avoir deux fondements. D'abord la nature même des choses, par exemple on donne tant pour recevoir tant; c'est ce qu'on appelle droit naturel. Ensuite, une telle équivalence peut résulter d'une promesse ou d'un accord, par exemple lorsqu'on accepte de recevoir tant; mais ici deux cas sont possibles: une convention privée, comme dans un pacte conclu entre deux personnes; et un contrat social, qui peut provenir soit du consentement populaire à un règlement, soit d'une décision du prince, qui a la charge d'un peuple et gouverne à sa place; c'est ce qu'on appelle droit positif.

Ce qui est naturel à un être qui possède une nature invariable doit être partout et toujours le même. Mais la nature de l'homme est changeante, au point que ce qui est naturel à l'homme peut parfois faire défaut. L'égalité naturelle veut que l'on rende le dépôt à celui qui l'a confié; et si la nature humaine était toujours droite, on devrait toujours observer cette règle; mais comme la volonté humaine peut se dépraver, il y a des cas où l'on n'est pas tenu de rendre un dépôt, de peur que celui qui l'a confié n'en fasse un mauvais usage parce que sa volonté se trouve pervertie; tel est le cas du fou ou de l'ennemi de l'Etat, qui redemanderait les armes qu'il nous a confiées.

La volonté humaine peut, par une convention générale, décréter juste une chose qui, en elle-même, n'est pas contraire à la justice naturelle, et c'est ainsi que s'établit le droit positif. C'est pourquoi Aristote dit au livre 5 de l'Ethique que la justice légale concerne " ce qui de par sa nature est indifférent, mais qui cesse de l'être par simple décret ". Cependant ce qui est contraire au droit naturel ne peut pas devenir juste par simple décision humaine: par exemple on ne peut pas décréter qu'il est permis de voler ou de commettre l'adultère. D'où le mot d'Isaïe (10,1) " Malheur à ceux qui font des lois iniques. "

On parle de droit divin à propos de ce qui est promulgué par Dieu, et ce peut être soit ce qui est naturellement juste, mais dont la justice échappe à l'homme, soit ce qui devient juste par décret divin. Ainsi le droit divin, comme le droit humain, est double: il y a dans la loi divine d'une part ce qui est prescrit parce que bon, et défendu parce que mal, et d'autre part ce qui est bon parce que prescrit, et mal parce que défendu.

Une loi écrite contraire au droit naturel n'est pas une loi, mais une caricature de loi. On n'a donc pas à s'y référer pour juger.

Les lois injustes en elles-mêmes sont celles qui se trouvent être contraires au droit naturel, soit dans tous les cas, soit dans quelques situations particulières; et même les lois positives justes deviennent insuffisantes dans certaines situations où leur application déroge au droit naturel. Dans ces cas, il ne faut pas juger d'après la lettre de la loi, mais d'après l'équité que le législateur avait en vue.

St Thomas, Somme théologique , II, II, q. 57, a. 2, ad I, 2, 3. q.60, a. 5, ad 1, 2

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