Chacune des choses que nous possédons a deux usages, dont aucun ne répugne à sa nature, mais, pourtant, l'un est propre et conforme à sa destination, l'autre détourné à quelque autre fin. Par exemple, l'usage propre d'un soulier est de chausser; on peut aussi le vendre ou l'échanger pour se procurer de l'argent ou du pain, ou quelque autre chose, et cela sans qu'il change de nature; mais tel n'est pas là son usage propre, n'ayant pas été inventé pour le commerce. Il en va de même des autres choses que nous possédons. La nature ne les a point faites pour être échangées; mais les hommes en ayant les uns plus, les autres moins qu'il ne leur faut, ce hasard en a amené l'échange.

Ce n'est pas, non plus, la nature qui a produit le commerce consistant à acheter pour revendre plus cher. L'échange était un expédient nécessaire pour procurer à chacun de quoi suffire à ses besoins. Il n'en fallait point dans la société primitive des familles où tout était commun. Il n'est devenu nécessaire que dans les grandes sociétés et après la séparation des propriétés. (...)

C'est ce commerce qui, dirigé par la raison, a fait imaginer la ressource de la monnaie. (...) On convint donc de se donner et de recevoir réciproquement en échange quelque autre chose qui, outre sa valeur intrinsèque, eût la commodité d'être plus maniable et d'un transport plus facile, telle que du métal, soit du fer, soit de l'argent, soit tout autre, qu'on détermina d'abord par son volume ou par son poids, et qu'ensuite on marqua d'un signe distinctif de sa valeur, pour n'avoir pas la peine de mesurer,ou de peser à tout moment.

 

 

ARISTOTE, La Politique, 1, 3, §11-14, trad. M. Prélot, Gonthier-Médiations, pp. 30-31

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