La psychanalyse ne trouve pas grâce à vos yeux. Vous la comparez même aux pratiques exorcistes telles que les a connues le XVIIe siècle.

C'est peut-être même moins intéressant que l'exorcisme qui avait derrière lui une grande vision théologique... Pour moi, la dignité même d'un homme ou d'une femme, c'est le secret. Il y a un livre que personne ne lit en France, qui est mon pays - je suis parisien - c'est le livre d'un homme dont on ne veut pas parler: il s'agit de Pierre Boutang. Il a écrit « L'ontologie du secret » un des chefs-d'œuvre de notre siècle. Je signe ce mot.

Porter en soi le grand secret d'une angoisse, d'une faillite intérieure, d'une défaite terrible, d'une pathologie du désir ou du manque, la porter chaque heure en soi, c'est une des choses les plus importantes pour un être humain. Alors, pour moi, aller raconter à autrui ce qui vous pèse le plus, ce qui vous trouble le plus, vous désarçonne, vous déboussole, angoisse, obsède, c'est une défaite terrible. Sachant surtout qu'il vous faut payer pour qu'on vous entende... Dans la confession - je suis juif et pas catholique - il y a pour le croyant la présence de Dieu. C'est un jeu à trois, et non pas à deux. Ensuite, on ne paie pas un prix pour l'écoute. C'est une grâce gratuite...

Deuxième point: une très belle blague yiddish se raconte ces jours-ci à New York - les blagues yiddish sont notre Talmud actuel, et le plus grand talmudiste d'aujourd'hui, c'est Woody Allen; il y a chez lui des jeux d'esprit d'une profondeur vertigineuse. La blague est la suivante. Un monsieur tue son père et sa mère avec un couteau. On l'amène devant le juge, qui lui demande: « Avez-vous des circonstances atténuantes ? - Oui, monsieur le juge, je suis orphelin... » Pour moi, c'est toute la psychanalyse. Tout comprendre, c'est tout pardonner. Pas pour moi. Tout comprendre, c'est pardonner de moins en moins, hélas.

Vous refusez l'intervention de la psychanalyse pour « expliquer » l'euvre d'art ?

Il me faut d'abord vous rappeler que Freud refusa d'analyser Rainer Maria Rilke, qui était victime d'un , « blocage ». Onze années durant, le poète n'écrit plus. Freud le prévient: « Attention ! si je vous analyse, vous n'arriverez plus à créer.» Freud a eu ce scrupule magnifique et stoïque. L'explosion, plus tard, donnera chez Rilke les chefs d'œuvre que sont les « Sonnets d'Orphée » et les « Elégies de Duine ». Bien sûr, après cela, Rilke meurt d'épuisement total. Mais, auparavant, il a créé des livres qu'il n'aurait pas pu nous donner s'il avait été analysé. Freud était convaincu que l'analyse aurait détruit cette terreur d'où est finalement venue cette œuvre.

Le point, n°961 du 18 février 1991 p.86 . Entretien avec Jean Pierrard

 

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