Il n'y a point d'homme en général. Cette idée (générale) n'a donc point de réalité hors de nous: mais elle en a une dans notre esprit (...).
Mais qu'est-ce au fond que la réalité qu'une idée générale et abstraite a dans notre esprit ? Ce n'est qu'un nom; ou, si elle est quelque autre chose, elle cesse nécessairement d'être abstraite et générale.
Quand, par exemple, je pense à homme, je ne puis considérer dans ce mot qu'une dénomination commune: auquel cas il est bien évident que mon idée est en quelque sorte circonscrite dans ce nom, qu'elle ne s'étend à rien au delà et que, par conséquent, elle n'est que ce nom même.
Si, au contraire, en pensant à homme, je considère dans ce mot quelque chose autre qu'une dénomination, c'est qu'en effet je me représente un homme; et un homme, dans mon esprit comme dans la nature, ne saurait être l'homme abstrait et général.
Les idées abstraites ne sont donc que des dénominations...
Cette observation sur les idées abstraites et générales démontre que leur clarté et leur précision dépendent uniquement de l'ordre dans lequel nous avons fait les dénominations des classes; et que par conséquent, pour déterminer ces sortes d'idées, il n'y a qu'un moyen: c'est de bien faire la langue.

Condillac, La Logique, Livre II chap. V.

 

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