Le rapport lui-même, et par conséquent l'association, peut être compris soit comme une vie réelle et organique, c'est alors l'essence de la communauté, soit comme une représentation virtuelle et mécanique, c'est alors le concept de la société. [...]

 

Il faut donc que quelques remarques préliminaires posent l'opposition comme une donnée.Tout ce qui est confiant, intime, vivant exclusivement ensemble est compris comme la vie en communauté (c'est ainsi que nous le croyons). La société est ce qui est public; elle est le monde; on se trouve au contraire en communauté avec les siens depuis la naissance, liés à eux dans le bien comme dans le mal. On entre dans la société comme en terre étrangère. On met l'adolescent en garde contre la mauvaise société, mais l'expression " mauvaise communauté " sonne comme une contradiction. Les juristes parlent, il est vrai, de société domestique, mais c'est qu'ils ne retiennent alors que le concept social de la relation. Au contraire, la communauté domestique, avec ses actions infinies sur l'âme humaine, est ressentie par chacun de ceux qui en font partie. C'est ainsi que les fiancés savent qu'ils entrent dans le mariage comme dans une pleine communauté de vie. Une société de vie est une expression contradictoire dans les termes. On se tient compagnie. Personne ne peut tenir communauté à un autre. On est admis dans la communauté religieuse; les sociétés religieuses existent uniquement comme les autres associations, en vue d'un but quelconque, pour l'État, et ce but, en théorie, se trouve en dehors d'elles. Il existe une communauté de langue, de mœurs, de foi, mais une société du travail, du voyage, des sciences. Les sociétés de commerce sont, à ce point de vue, particulièrement significatives; même s'il devait exister confiance et communauté entre les membres, on ne pourrait pas parler cependant d'une communauté de commerce. L'association des deux mots: communauté d'action, serait intolérable. Cependant, il y a la communauté de propriété: de champs, de bois, de pâturages. La communauté de biens entre les époux ne sera pas nommée société de biens. C'est ainsi que s'établissent quantités de distinctions.En un sens général on pourra parler d'une communauté englobant l'humanité entière, telle que veut l'être l'Église. Mais la société humaine est comprise comme une pure juxtaposition d'individus indépendants les uns des autres.

 

Tönnies, Communauté et société, I, 1887 

 

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