L'art est distingué de la nature, comme le «faire» (facere ) l'est de l'«agir» ou «causer» en général (agere ) et le produit ou la conséquence de l'art se distingue en tant qu'œuvre ( opus ) du produit de la nature en tant qu'effet (effectus ).

[ Kunst wird von der Natur , wie Tun (facere ) vom Handeln oder Wirken überhaupt (agere ), und das Produkt die Folge der ersteren als Werk ( opus ) von der letzteren als Wirkung (effectus) unterscheiden.]

En droit on ne devrait appeler art que la production par la liberté, c'est-à-dire par un libre arbitre  < Willkür >, qui met la raison au fondement de ses actions. On se plaît à appeler une œuvre d'art < Kunstwerk > le produit des abeilles (les gâteaux de cire régulièrement construits), mais ce n'est qu'en raison d'une analogie avec l'art; en effet, dès que l'on songe que les abeilles ne fondent leur travail sur aucune réflexion proprement rationnelle, on déclare aussitôt qu'il s'agit d'un produit de leur nature (de l'instinct), et c'est seulement à leur créateur qu'on l'attribue en tant qu'art.

Lorsqu'en fouillant un marécage on découvre, comme il arrivé parfois, un morceau de bois taillé, on ne dit pas que c'est un produit de la nature, mais de l'art; la cause productrice de celui-ci a été pensé à une fin, à laquelle l'objet doit sa forme. On discerne d'ailleurs un art en toute chose, qui est ainsi constituée, qu'une représentation de ce qu'elle est a dû dans sa cause précéder sa réalité (même chez les abeilles), sans que toutefois cette cause ait pu précisément penser l'effet < ohne daß doch die Wirkung von ihr eben dedacht sein dürfe >; mais quand on nomme précisément une chose une œuvre d'art, pour la distinguer d'un effet naturel, on entend toujours par là une œuvre de l'homme.

Kant, Critique du jugement, §43 

 

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