Il n'est pas possible non plus d'acquérir par la sensation une connaissance scientifique. En effet, même si la sensation a pout objet une chose de telle qualité, et non seulement tine chose individuelle, on doit du moins nécessairement percevoir telle chose déterminée dans un lieu et à un moment déterminés. Mais l'universel, ce qui s'applique à tous les cas, est impossible à percevoir, ear ce n'est ni une chose déterminée, ni un moment déterminé, sinon ce ne serait pas un universel, puisque nous appelons universel ce qui est toujours et partout. Puis donc que les démonstrations sont universelles, et que les notions universelles ne peuvent être perçues, il est clair qu'il n'y a pas de science par la sensation. Mais il est évident encore que, même s'il était possible de percevoir que le triangle a ses angles égaux à deux droits, nous en chercherions encore une démonstration, et que nous n'en aurions pas (comme certains le prétendent) une connaissance scientifique car la sensation porte nécessairement sur l'individuel, tandis que la science consiste dans la connaissance universelle. Aussi, si nous étions sur la Lune, et que nous voyions la Terre s'interposer sur le trajet de la lumière solaire, nous ne saurions pas la cause de l'éclipse: nous percevrions qu'en ce moment il y a éclipse, mais nullement le pourquoi, puisque la sensation, avons-nous dit, ne porte pas sur l'universel. Ce qui ne veut pas dire que par l'observation répétée de cet événement, nous ne puissions, en poursuivant l'universel, arriver à une démonstration, ear c'est d'une pluralité de cas particuliers que se dégage l'universel.

 

Aristote,Seconds Analytiques, Livre 1, 31, Vrin, 1979, pp .146-148

 

 

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