La volonté du vrai, qui nous induira encore à bien des aventures périlleuses, cette fameuse véracité dont tous les philosophes ont toujours parlé avec beaucoup de respect, que de problèmes elle nous a déjà posés! Et quels problèmes singuliers, pernicieux et équivoques! L'histoire en est déjà longue, cependant il me semble qu'elle ne fasse que tout juste de commencer. Quoi d'étonnant si nous finissons par nous méfier, par perdre patience, par nous détourner, excédés? Si ce sphinx nous enseigne finalement à poser des questions à son tour? Qu'est-ce en nous qui veut la "vérité"? De fait, nous nous sommes longuement attardés devant le problème de l'origine de ce vouloir, et pour finir nous nous sommes trouvés complètement arrêtés devant un problème bien plus fondamental encore. Nous nous sommes interrogés sur la valeur de ce vouloir. En admettant que nous voulions le vrai, pourquoi pas plutôt le non-vrai ? Ou l'incertitude? Ou même l'ignorance? Est-ce le problème de la valeur du vrai qui s'est présenté à nous, ou bien est-ce nous qui nous sommes offerts à lui? Qui est Œdipe ici? Et qui est le Sphinx? Il semble que ce soit un rendez-vous de questions et de problèmes. Et le croirait-on? il nous semble en définitive que le problème n'avait jamais été posé jusqu'à présent, que nous somment les premiers à le voir, à l'envisager, à l'oser. Car il comporte un risque, et peut-être le risque suprême.

Nietzsche,
Par delà le bien et le mal, 1886, §1
 

 

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