La culture


Dans son usage courant, le terme désigne la formation de l'esprit (et de la personnalité tout entière: goût, sensibilité, aussi bien que l'intelligence proprement dite), par opposition à une simple accumulation de connaissances, au «savoir» théorique et impersonnel. Conformément à son sens premier, la culture est donc défrichage, mise en valeur, elle est ce qui doit permettre à un esprit de porter de beaux fruits. Ainsi entendue, la notion est très liée à l'humanisme traditionnel, celui qui voue un «culte» aux grandes oeuvres du passé et juge leur fréquentation indispensable à la formation de l'«honnête homme».

Culture et civilisation

En un second sens, également très répandu, le mot ne désigne plus ce travail d'amendement, de perfectionnement individuel et son résultat, mais le trésor collectif où il vient puiser: oeuvres littéraires, oeuvres d'art, pensées politique, philosophique, religieuse..., expriment la «quintessence» d'une civilisation: elles en sont «l'âme» ou «l'esprit». Ce sont là les produits du travail par lequel l'homme, au moyen de la technique, transforme ou adapte le donné naturel (cf. cours sur le travail et cours sur la technique). Lorsque l'on parle, par exemple, de la culture hellénique, le mot peut être identifié purement et simplement à civilisation, si l'on donne à ce dernier son sens appréciatif (par opposition à sauvagerie ou barbarie); c'est ce que fait constamment Paul Valéry quand il examine dans les «Regards sur le monde actuel» les conditions qui ont permis la suprématie de la «culture européenne», et celles qui entraînent son déclin. Mais il vaut mieux réserver le terme de culture pour une partie de l'extension du concept de civilisation: alors que celui-ci désigne aussi bien les pratiques que les réalisations matérielles, etc., la culture est l'apport intellectuel, artistique, spirituel, d'une civilisation. En termes marxistes, la culture est la super-structure idéologique relative, dans une civilisation donnée, à l'infrastructure matérielle de la société: on sait bien que les « productions de l'esprit» n'apparaissent pas par hasard, ou gratuitement, au sein de la civilisation globale: elles sont ce par quoi un groupement humain prend conscience de lui-même (mais une conscience partielle et déformante), en un moment déterminé de son histoire, en fonction de conditions matérielles ou concrètes elles-mêmes déterminées.

Nature et culture (cf. cours sur nature et culture)

Ainsi entendu, le terme ne s'applique pas à toutes les sociétés: il existe des peuples sans culture - ceux-là mêmes que l'Occident a longtemps considérés comme «non civilisés». Or une acception plus récente, à la fois large et rigoureuse, du concept en généralise l'emploi de façon à l'appliquer désormais à toutes les sociétés humaines, même celles dont les modes de vie sont les plus archaïques. Cet usage, hérité de la sociologie américaine, identifie le fait culturel au fait social. La culture cesse d'être l'ornement de la vie, collective ou individuelle; elle est, selon la définition qu'en donne Ralph Linton, «la configuration des comportements appris et des résultats de comportements qui sont reçus est transmis dans une société particulière». La «culture» ainsi entendue s'oppose à la «nature»: en effet, les comportements appris, ce sont ceux que l'homme social a inventés, et qui sont transmis par l'imitation ou l'éducation (ce que Lévi-Strauss appelle la «tradition externe»): les modes de vie, toutes les pratiques matérielles ou mentales entrent dans cette catégorie. Quant aux «résultats de comportements», ce sont aussi bien des choses (maisons, outils, oeuvres d'art...) que des réalités non visibles: habitudes intellectuelles et affectives, toutes les marques imprimées dans l'individu par l'environnement social.
Quels sont les critères qui permettront de distinguer en l'homme ce qui est culturel de ce qui est naturel? Lévi-Strauss les dégage de ses matériaux ethnologiques. Alors que le fait naturel est «universel» (il se confond avec les lois biologiques de l'espèce), le fait de culture est particulier, il a cours dans un groupement humain bien défini, où il a été inventé: il ne s'explique pas entièrement par les besoins de «l'homme en général» et les ressources que la nature lui offrait pour assouvir ces besoins. Et il est normatif, car il est astreint à une règle (ou des règles) elle-même inventée: le jeu chez les jeunes animaux est pure spontanéité, alors que le jeu de l'enfant est soumis aux lois du «permis» et du «défendu».
Lévi-Strauss retrouve ainsi le caractère «coercitif» reconnu par Durkheim au fait social. Mais il ajoute un troisième caractère, non moins important que les précédents: les normes culturelles ne sont pas isolées, sans rapport les unes avec les autres, elles s'articulent entre elles de manière à former des structures, reconnaissables à travers les différents aspects de la société. Ainsi une culture n’est-elle pas seulement le «produit» d'une société, mais cette société elle-même définie comme système des différences qui permettent la circulation et la transformation des marchandises, que celles-ci soient des mythes, des mots, des femmes ou des objets fabriqués (cf. cours sur les échanges). En ce sens, l'Histoire n'est pas le mouvement progressif qui mène de l'animalité à la culture (au sens valorisé qui implique projection de la part du «civilisé»), mais l'Histoire des différences, une culture donnée n'entrant pas obligatoirement en rapport avec une autre culture, et l'Histoire «mondiale» ne pouvant résulter que de la mise en rapport réelle de cultures hétérogènes possédant leur style propre (cf. cours sur l'Histoire).

© Michel Pérignon