"Comprendre l'Histoire,
il n'y a pas de tâche plus vraie pour la philosophie
"
(Jean-François Lyotard)
 

 

l'Histoire

 Test sur l'Histoire

 

Plan

Préliminaires

Raisons du choix de l'histoire comme premier objet de notre réflexion.
 

Introduction

1) Du mot à la notion

2) Questions en jeu, de deux ordres

3) Questions retenues

 

I. Première partie: qu'est-ce que l'Histoire?

 

Qu'est-ce qu'un événement?

Qu'est-ce qui fait, d'un événement quelconque, un événement historique?

En quoi les évènements doivent-ils former un cours pour qu'il y ait Histoire?

 

II. Deuxième partie: l'Histoire a-t-elle un sens?

 

Quelle est la "logique" qui sous-tend les philosophies de l'Histoire?
A. Elles reposent sur une conviction rationnelle.

B. Elles recherchent le plus souvent une raison "ultime"

 

Quand et comment ces philosophies sont-elles apparues?

A. L'ignorance première de la dimension historique

B. La vision du monde judéo-chrétienne

C. La philosophie des Lumières

 

Quelles furent les grandes conceptions philosophiques de l'Histoire ?

A. L'idéalisme hégelien

B. Le matérialisme marxiste

C. Les interprétations ouvertes

 

A quelles difficultés les philosophies de l'Histoire se heurtent-elles ?

A. Démentis de l'Histoire

B. Impasse théorique

 

Conclusion

Historicité de l'homme. Cf Malson

 

 

Considérations préliminaires

 

Constat : s'identifier = décliner son curriculum vitae, càd ... reconstituer son Histoire

Leçon: l'homme semble devoir se définir par son Histoire.

Choix de l'Histoire comme l'un des premiers objet de réflexion. Justification :

• Homme = être pétri d'Histoire

• Or, objet privilégié de la philosophie depuis Socrate : l'homme

• Donc, vouloir penser l'homme conduit à parler de l'Histoire.

 

Introduction

 

1. Du mot à la notion

Par "histoire" on entend :
• soit le récit de ce qui est arrivé. Cf. étymologie du mot

• soit cela même qui est arrivé

Ainsi,

1° En un premier sens le mot "histoire" désigne le récit authentique du passé humain.

2° En un second sens, l'Histoire est la réalité historique elle-même, càd la totalité de ce qui a eu lieu, a lieu et aura lieu aussi longtemps qu'il y aura des hommes

N.B. Singularité du mot: réflexion sur le double sens du mot histoire:

- Constat: il est source d'ambiguïté, " nullement fortuite" (Heidegger)

- Explication : Pas d'histoire sans Histoire et réciproquement.

 

2. Questions en jeu

• Les unes, relatives à la connaissance du passé, relèvent de la philosophie des sciences, appelée épistémologie

• Les autres, relatives à la réalité historique, donnent naissance à la "philosophie de l'Histoire".

N.B. De l'unicité du mot, résulte toutefois une interdépendance de ces interrogations distinctes : ce que l'historien étudie n'est autre que ce que le philosophe s'efforce de comprendre !

 

3. Questions retenues :

Celles que pose la réalité historique, càd celles relatives soit à la nature de l'Histoire soit à son sens.

 

 

I. Qu'est-ce que l'Histoire?

 

Histoire =cours des événements humains

=> Pour cerner ce qu'est l'Histoire se demander :

• ce qu'est un " événement",

• ce qui fait que des événements sont dits "historiques",

• en quoi les événements forment entre eux un "cours".

 

1° Qu'est-ce qu'un événement?

• L'événement est "ce qui se passe"...
=> concept pour penser l'Histoire: le changement. Cf. Hegel

• ....mais pourrait ne pas se passer:

=> concept pour penser ce changement: la contingence. Cf. Cournot

 

2° Qu'est-ce qui fait d'un événement qu'il est historique?

Est « historique » un événement "important".

Il est important du fait qu'il est déterminant : l'avenir de l'humanité dépend en quelque façon de lui.

Cf Texte de Kojève

 

3° En quoi les événements forment-ils entre eux un "cours" ?

Ils entretiennent entre eux une relation telle que les uns, à venir, dépendent des autres, advenus.
Cf. Cournot : il n'y a pas d'Histoire à proprement parler “pour une suite d'événements qui seraient sans aucune liaison entre eux”

Reste que ...

Il n'y a pas d'histoire proprement dite, là où tous les événements dérivent nécessairement et régulièrement les uns des autres, en vertu des lois constantes par lesquelles le système est régi, et sans concours accidentel d'influencer étrangères au système que la théorie embrasse.” (Cournot)

=> part d'aléa, de hasard, d'accident

 

 

II. L'Histoire a-t-elle un sens?

 

1° Logique des philosophies de l'Histoire

 

A. Elles reposent sur une conviction rationnelle:
Rien n'arrive sans raison, il existe un "fil conducteur" qui permet de relier les événements entre eux, si arbitraire qu'en paraisse le cours.
Cf.
Cournot - Hegel
Cf. Strephan Zweig : "
Dunkle und krumme Wege geht oft die Geschichte, aber immer erfüllt sich endlich der historische Sinn, immer erzwingen die Notwendlichkeiten schließlich ihr Recht." (Marie Stuart)

Cette conviction tient à la nature de la philosophie, qui cherche à rendre raison.
Cf.
Cournot- Hegel

 

B. La recherche d'une raison "ultime"

Le souci d'intelligibilité conduit à rechercher une "raison ultime"
=> regard "téléologique" (Cf. Hegel & Merleau-Ponty)

N.B. Tous les philosophes ne vont pas jusque là.

Si pour Hegel il y a UN principe universel, Cournot se limitera à la recherche de raisonS.

Deux grands noms: Hegel (1770-1831) , Marx (1818-1883).

= deux philosophes du XIXème siècle !

Explication : XIXe siècle = siècle des bouleversements sociaux, économiques et politiques consécutifs à la révolution industrielle et à la révolution française.

 

2° Quand et comment ces philosophies sont-elles apparues?

 

A. L'ignorance première de la dimension historique

La philosophie grecque s'est constituée sur fonds de pensée mythique. Le mythe expliquait l'état du monde par ses origines. Dans un tel contexte culturel il s'agissait de se conformer à l'ordre des choses tel qu'il existe depuis toujours. L'avènement d'une pensée rationnelle n'a pas fondamentalement modifié cette perspective : les philosophes de l'antiquité voient dans l'homme un simple acteur de son destin, dont le drame a été écrit par un autre que lui-même. Cf. Epictète - Ex. Homère, L'Odyssée (Ulysse partant d'Itaque et y revenant, Pénéloppe faisant et défaisant le même ouvrage)

La notion de changement a cours, mais elle n'inclut pas l'idée d'évolution décisive de l'état du monde. Cf. cycles Rien n'est plus étranger à la pensée antique que la notion de progrès qui sera au coeur des philosophies de l'Histoire. L'idée de progrès vient [via philosophies des Lumières] de la pensée judéo-chrétienne.

 

B. La vision du monde judéo-chrétienne

Les premières grandes “philosophies de l'Histoire” seront d'auteurs chrétiens :
Saint-Augustin (354-430), La cité de Dieu
Bossuet (1627-1704), Discours sur l'Histoire universelle

Vision judéo-chrétienne du monde :

L'Histoire est en marche vers un accomplissement, final, auquel elle prépare. De cyclique (chez les Grecs, cf. supra) , la vision du temps devient linéaire.

 

C. La philosophie des Lumières

• A sa source, Descartes (1596-1650)

• A son principe, la foi au progrès

Auteurs représentatifs :

a) Rousseau (1712-1778)

Cf. Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755)

N.B. Son idée de la perfectibilité

b) Kant (1724-1804)

Cf. "Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique" (1784)

= première formulation systématique d'un projet de philosophie de l'histoire.

 

3° Les grandes conceptions philosophiques de l'Histoire

 

Deux grands "systèmes" dominent la pensée philosophique du XIXème siècle. Chacun prétend rendre compte de la totalité du devenir de l'humanité à l'aide d'un seul principe explicatif.

• Pour Hegel il s'agirait de la raison

• Pour Marx des forces économiques

A ces deux façons de voir, s'oppose une troisième moins systématique, plus soucieuse d'observer sans idée préconçue le cours effectif de l'Histoire.

Son initiateur : Antoine Augustin Cournot

 

A. L'idéalisme hégélien

Hegel a une conception idéaliste: C'est l'Esprit (Geist) qui se réalise à travers le jeu des intérêts et des passions
=> Pour lui, penser l'Histoire consiste à suivre l'Esprit à la trace au coeur des événements.
Cf.
la Raison dans l'Histoire

 

B. Le matérialisme historique

Marx explique le cours de l'Histoire par l'activité économique : ce sont les agents économiques, les classes sociales, qui sont du fait de leurs rapports, conflictuels, de production, les moteurs de l'Histoire.

Cf. Manifeste du parti communiste : “ Die Geschichte aller bisherigen Gesellschaft ist die Geschichte von Klassenkämpfen ”.

Marx développe ainsi un point de vue "matérialiste" : loin d'être le fruit de l'activité de l'Esprit, l'existence collective, historique, repose selon Marx, sur les conditions de vie matérielle déterminées par "les forces de production".

matérialisme historique
superstucture idéologique
structure sociale
infrastructure économique

A la source de toute l'activité humaine se trouve l'infrastructure économique, constituée par les “ forces productives ”, que sont les techniques et les conditions de production du moment.

La structure sociale est générée par les rapports de production. Ainsi, quand on ne dispose que de la force physique pour transformer la nature, les esclaves "offrent" les forces requises.

Les rapports de production ("luttes") se traduisent et se dissimulent dans les manifestations de l'esprit humain (l'art, la morale, le droit, la religion, la philosophie, etc ) constitutives de la superstucture, idéologique

L'ensemble est une réalité dynamique, génératrice de changements dont l'Histoire est au fond la résultante... Non seulement des contradictions sont à l'oeuvre à l'intérieur de chaque instance, mais elles exercent aussi entre elles des actions réciproques, dont résultent des évolutions et parfois même des révolutions. Cf Manifeste du Parti communiste, 1ère partie.

 

C. Les interprétations ouvertes

Façon de voir, pluraliste : l'origine du processus historique doit être cherchée. Cf. Cournot
tantôt dans la réalité économique,
tantôt dans d'autres réalités, politiques, morales, religieuses, philosophiques, etc., ces divers facteurs pouvant interférer.

L'histoire "pluraliste" s'oppose à la fois à une histoire qui ne retiendrait que le fortuit et le contingent et à une histoire qui refuserait de reconnaître la part du hasard dans le cours des événements, pour le mettre au compte d'un pur déterminisme.

=> préférence de Cournot pour expression d'étiologie historique.

Cournot préfère en effet parler de "raison" plutôt que de "cause" des événements par souci de rigueur à l'égard de ce qui, en fait, prédispose les événements à se produire, à savoir "les conditions de structure et de formes qui prévalent à la longue ... sur les causes proprement dites", càd sur les forces qui déclenchent les événements.

N.B. L'histoire de type ouvert, plurielle, est la plus répandue; souvent elle est implicite chez les historiens de métier.
Ex. récent ,
Discours de réception à l'Académie Française de Michel Serres.

 

4° Difficultés auxquelles se heurtent les philosophies de l'Histoire.

 

A. Les démentis de l'Histoire ...

= démentis infligés aux grandes philosophies de l'Histoire celles de Hegel et de Marx, par l'Histoire elle-même.

Hegel pense que l'Esprit est en marche, irrésistiblement.

Or, par ex., Histoire du XXème siècle =
• fascisme, histoire de la "Barbarie à visage humain " (B.-H. Lévy)
• "libération des moeurs", élévation spirituelle ou régression morale ?

Marx, contredit par le succès même du marxisme : la superstructure (idées marxistes) a déterminée la structure (lutte révolutionnaire) en modifiant l'infrastructure (production collective). Révolution d'Octobre = anti-matérialisme-historique !

Seules quelques timides interprétations ouvertes, qui renoncent à trouver UN sens global et unique à l'Histoire, se sentent encore autorisées à s'affirmer, dans un climat général de défiance. Nous vivons actuellement dans le court terme, au ras des événements, sans vision du monde totalisante ET extrapolante.
Cf. B.H. Levy à Philippe Petit dans l'Événement du Jeudi du 28 février 1991 p.74

B. Impasse théorique

Le cours de l'Histoire est-il vraiment déterminé ? Michel Serres parlant de l'avenir fait observer : "Certes, nous ne pouvons le prédire au sens de prévision, mais nous devons le préparer, au sens de prévoyance."

Comment admettre a priori une rationalité de l'Histoire (qu'on le fasse de façon claire et explicite, comme Hegel, ou de façon plus réservée, comme Cournot, ou même de façon camouflée, comme Marx ) sans aller à l'encontre de la nature contingente des événements (Cf. Première partie du cours) dont on prétend rendre compte ?

 

CONCLUSION

 

L'homme du XXème a hérité de celui du XIXe siècle le sens de l'Histoire tout en doutant de ce à quoi ce dernier croyait, à savoir que l'Histoire ait un sens.
Cf. Malson "C'est une idée désormais conquise que l'homme n'a point de nature mais qu'il a - ou plutôt qu'il est - une histoire".

Historicité de l'homme : l'homme est un héritier et l'Histoire est son héritage culturel.

Reste à penser la constitution d'un tel héritage. Ce qui conduit à se pencher sur l'activité productrice de l'homme, et tout d'abord sur le travail (Cf. cours sur le travail).
 
© M. Pérignon