la mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Introduction

- Importance de la notion

- Problématique

I. Où et comment le passé survit-il ?

1. Le problème

2. Sa solution mécaniste

3. Critique de la sol. mécaniste

II. Quelle est la nature du souvenir ?

1. Problème de fond

2. Théorie bergsonienne

3. Examen critique de cette théorie

III. Toute mémoire.réactualise-t-elle    nécessairement un état de conscience passé?

1. Problème posé, celui de l'oubli

2. Point de vue Bergson, Freud et Nietzsche

Conclusion

Retour à Saint-Augustin

 

 

 

Introduction

 

Enjeu

Quelle force dans la mémoire ! C'est un je ne sais quoi, digne d'inspirer un effroi sacré, ô mon Dieu, que sa profondeur, son infinie multiplicité! Et cela, c'est mon esprit; et cela c'est moi-même..." (Augustin, Confessions, X )

"Nesquio quid ... ego ipse sum" : La mémoire est le substrat de l'identité personnelle, et elle est mystérieuse ...

Définition

fonction psychique consistant dans la reproduction d'un état de conscience passé avec ce caractère qu'il est reconnu pour tel par le sujet ” (Lalande)

Problématique

Demandent à être élucidés

• le mécanisme de conservation (de l'état de conscience passé),

• la nature de la reproduction (de l'état de conscience passé),

• et ... l'existence de l'oubli

 

Première partie : où et comment le passé survit-il ?

 

1. Le problème 

Pour pouvoir reproduire le passé il faut bien que la mémoire dispose de traces de celui-ci qui lui permettent de l'évoquer.

Hypothèse conséquente : ces traces ne sont-elles pas de nature matérielle ?

Il est tentant en effet de considérer la mémoire comme étant un lieu où sont stockés des souvenirs, sortes d'image du passé.

 

2. Solution mécaniste du problème

Saint-Augustin déjà, bien que spiritualiste, parlait de la mémoire comme d'un réceptacle à souvenirs. Cf. Confessions, X

Les philosophes avec qui s'ouvre la modernité, Descartes en tête, bien que spiritualiste aussi, expliqueront la mémoire (du moins celle des choses matérielles) par “des vestiges qui demeurent dans le cerveau, après que quelqu'image y a été imprimée ” (Descartes).

Ribot (1839-1916), auteur d'un ouvrage célèbre sur les maladies de la mémoire verra dans la mémoire "une fonction générale du système nerveux". Il dira qu'elle "a pour base la propriété qu'ont les éléments de conserver une modification reçue et de former des associations."

On recherchera à partir de XIXème siècle à localiser les souvenirs dans des zones déterminées du cerveau. Il reviendra à Bergson de montrer l'ambiguïté d'une telle conception, matérialiste. Cf. Malebranche, Recherrche de la vérité

 

3. Critique de la solution mécaniste

Peut-on parler d'empreintes mnésiques , dont le souvenir serait l'activation ? En d'autres termes, le souvenir est-il une réactivation d'empreintes ?

Se souvenir est un acte qui, pour s'effectuer, suppose certes le recours à un matériau représentatif. Mais on ne saurait confondre le souvenir lui-même avec le matériau dont il se sert.

Exemple. Proust part d'une sensation présente, le goût produit par quelques parcelles de madeleine trempées dans du thé, pour se replonger dans son passé, lorsque, enfant, il rendait visite à Combray à sa tante Léonie. La saveur de la madeleine imbibée de thé, les images qu'il évoque, ont bien quelque réalité matérielle. Mais ce n'est qu'un matériau. C'est la conscience qui, à travers lui, par son moyen, vise une réalité qui leur est substantiellement étrangère et qui n'a rien de matériel ! L'épisode de sa vie d'enfant est imaginé par Proust, qui le reconstitue mentalement grâce à ce qu'il convient d'appeler des "aides-mémoires".

Proust fait ce que nous faisons lorsque, regardant une photo, nous imaginons - grâce à elle - la scène qu'elle représente. Nous n'observons pas la photo pour elle-même, elle nous sert de symbole, de représentant analogique ("analogon") de ce que nous imaginons ! S'il s'agit d'une scène qui a eu lieu, c'est l'intuition que nous aurons en imaginant cette scène, de nous représenter quelque chose qui a eu lieu en tel lieu, à tel moment (cadres fournis par l'histoire, individuelle et collective) qui fera de cet acte un souvenir!

Le problème de la localisation en nous de traces du passé est un faux problème ! Il n'y a pas de traces à trouver. C'est nous qui, en nous servant de données tant intérieures qu'extérieures pour évoquer du passé, les transformons en "traces" de celui-ci ! Gilles Deleuze ne savait peut-être pas si bien dire lorsqu'il écrivait , en parlant de l'expérience mnésique de Proust : "nous appréhendons une qualité sensible comme SIGNE; nous sentons un impératif qui nous force à en chercher le sens." Tout le secret de la mémoire est dans l'explication de cet impératif ressenti !

 

 

Deuxième partie : quelle est la nature du souvenir ?

 

1. Problème de fond

La question qui se pose est de savoir comment la conscience sait que ce dont elle se souvient est quelque chose de passé. En d'autres termes, comment sait-on qu'on se souvient ?

Le problème de fonds, qu'exprime cette question, est celui du mode de présence du passé dans le champ actuel de la conscience.

Bergson apporte à ce problème une contribution précieuse, qui justifie un détour par sa théorie.

 

2. Théorie bergsonienne

 

Bergson montre qu'il convient de distinguer deux modes d'actualisation du passé dont un, seulement, est le fait de la mémoire proprement dite.

Ces deux modes sont

- l'un celui de l'habitude;

- l'autre celui du souvenir.

La mémoire-habitude

"L'une, fixée dans l'organisme, n'est point autre chose que l'ensemble des mécanismes intelligemment montés qui assurent une réplique convenable aux diverses interpellations possibles" (Bergson). Il y a pure répétition machinale de gestes, de propos, d'attitudes, sans évocation du passé qui s'y trouve impliqué. Ce qui explique qu'il n'y ait pas dans ce cas conscience mnésique !

La mémoire-souvenir

"L'autre est la mémoire vraie. Coextensive à la conscience, elle retient et aligne à la suite les uns des autres tous les états au fur et à mesure qui se produisent, laissant chaque fait à sa place et par conséquent marquant sa date." (Bergson)

Nulle difficulté : apparemment, dans ce cas pour rendre compte de la conscience mnésique : la "trace" déposée par le passé est datée !

Cf. exemple de la leçon apprise par coeur

3. Examen critique de cette théorie

La théorie semble convaincante : ou bien il y a mémoire vraie, et la conscience mnésique est conscience du passé en tant que passé, ou bien il y a mémoire habitude, et il y a réitération pure et simple de mouvements automatiques intemporels !

Reste une difficulté, majeure. Bergson fait comme si les souvenirs se présentaient à la conscience avec leur carte d'identité chronologique. Or les souvenirs ne sont pas des choses, fussent-elles mentales. Les souvenirs sont des actes de la conscience ! Ce qui ne veut pas dire pour autant que l'identification du passé reconnu pour tel dans le souvenir redevienne un problème insoluble. Le fait de se reporter mentalement à une époque passée est constitutif de la conscience mnésique, du souvenir : lorsque je me souviens, j'ai l'intention de me représenter un événement, une situation, quelqu'un que j'ai connu.

Dès lors, il n'y a aucun mystère dans le sentiment que j'éprouve d'être en présence du passé...je me le procure !

 

Troisième partie : la mémoire réactualise-t-elle nécessairement un état de conscience passé ?

 

1. Problème posé, celui de l'oubli

Si la fonction de la mémoire est de représenter le passé, d'où vient qu'elle échoue parfois à l'évoquer ?

 

2. Réponses de contemporains

Bergson

Pour Bergson la réactualisation d'un état de conscience passé suppose que la conscience soit en état de disponibilité, qu'aucune urgence liée à l'action ne la mobilise. Aussi l'oubli apparaît-il comme normal   le souvenir, en dehors des situations de détente mentale (dans le rêve, par exemple) remplit ainsi une fonction vitale !

Rien à redire à cette façon de voir : elle énonce une évidence ! Mais elle ne rend pas compte du fait que je puisse échouer dans l'effort que je puis faire pour retrouver un élément de mon passé dont j'aurais précisément besoin de me souvenir. D'autant que, pour Bergson, rien de mon passé n'est disparu ; tout ce que j'ai vécu fait corps avec moi.

N.B. Freud semble mieux armé pour expliquer cette résistance.

Freud

L'oubli est au service de l'équilibre psychique, qu'il assure en interdisant l'évocation d'événements pénibles. Mais c'est une solution négative, une conduite de fuite ! L'oubli est en effet pour Freud l'effet d'un refoulement, qui est refus d'assumer.

N.B. Il se donne à observer aussi bien chez les malades mentaux que chez les personnes en parfaite santé psychologique. Pour ce qui est du détail de la thèse, cf. Cours sur l'Inconscient.

Sa thèse a le mérite de reconnaître dans l'oubli un échec de la remémoration, et donc la nature active de cette dernière, entreprise de la conscience,contrecarrée par l'inconscient.

Nietzsche

Il est possible de vivre presque sans se souvenir, et de vivre heureux, comme le démontre l'animal, mais il est impossible de vivre sans oublier. ” Nietzsche offre une réponse pragmatique : Si la conscience ne réactualise pas nécessairement le passé, c'est parce qu'elle agit dans l'intérêt "moral" du sujet. C'est dire que l'oubli remplitune fonction vitale.

Resterait dès lors à expliquer les oublis qui vont à l'encontre de l'intérêt vitaldu sujet ...

=> Retour à Freud !

 

CONCLUSION

La mémoire est activité de l'esprit, en tant qu'il est la substance d'un être en devenir : nesquio quid, ego ipse sum  (Augustin)

 

© M. Pérignon