Nietzsche

Par-delà le bien et le mal

cinquième partie

 

§ 202

 

 

Sagen wir es sofort noch einmal, was wir schon hundert Mal gesagt haben: denn die Ohren sind für solche Wahrheiten - für unsere Wahrheiten - heute nicht gutwillig. Wir wissen es schon genug, wie beleidigend es klingt, wenn Einer überhaupt den Menschen ungeschminkt und ohne Gleichniss zu den Thieren rechnet; aber es wird beinahe als Schuld uns angerechnet werden, dass wir gerade in Bezug auf die Menschen der "modernen Ideen" beständig die Ausdrücke "Heerde", "Heerden-Instinkte" und dergleichen gebrauchen. Was hilft es! Wir können nicht anders: denn gerade hier liegt unsre neue Einsicht. Wir fanden, dass in allen moralischen Haupturtheilen Europa einmüthig geworden ist, die Länder noch hinzugerechnet, wo Europa's Einfluss herrscht: man weiss ersichtlich in Europa, was Sokrates nicht zu wissen meinte, und was jene alte berühmte Schlange einst zu lehren verhiess, - man "weiss" heute, was Gut und Böse ist. Nun muss es hart klingen und schlecht zu Ohren gehn, wenn wir immer von Neuem darauf bestehn: was hier zu wissen glaubt, was hier mit seinem Loben und Tadeln sich selbst verherrlicht, sich selbst gut heisst, ist der Instinkt des Heerdenthiers Mensch: als welcher zum Durchbruch, zum Übergewicht, zur Vorherrschaft über andere Instinkte gekommen ist und immer mehr kommt, gemäss der wachsenden physiologischen Annäherung und Anähnlichung, deren Symptom er ist. Moral ist heute in Europa Heerdenthier-Moral: - also nur, wie wir die Dinge verstehn, eine Art von menschlicher Moral, neben der, vor der, nach der viele andere, vor Allem höhere Moralen möglich sind oder sein sollten. Gegen eine solche "Möglichkeit", gegen ein solches "Sollte" wehrt sich aber diese Moral mit allen Kräften: sie sagt hartnäckig und unerbittlich "ich bin die Moral selbst, und Nichts ausserdem ist Moral!" - ja mit Hülfe einer Religion, welche den sublimsten Heerdenthier-Begierden zu Willen war und schmeichelte, ist es dahin gekommen, dass wir selbst in den politischen und gesellschaftlichen Einrichtungen einen immer sichtbareren Ausdruck dieser Moral finden: die demokratische Bewegung macht die Erbschaft der christlichen. Dass aber deren Tempo für die Ungeduldigeren, für die Kranken und Süchtigen des genannten Instinktes noch viel zu langsam und schläfrig ist, dafür spricht das immer rasender werdende Geheul, das immer unverhülltere Zähnefletschen der Anarchisten-Hunde, welche jetzt durch die Gassen der europäischen Cultur schweifen: anscheinend im Gegensatz zu den friedlich-arbeitsamen Demokraten und Revolutions-Ideologen, noch mehr zu den tölpelhaften Philosophastern und Bruderschafts-Schwärmern, welche sich Socialisten nennen und die "freie Gesellschaft" wollen, in Wahrheit aber Eins mit ihnen Allen in der gründlichen und instinktiven Feindseligkeit gegen jede andre Gesellschafts-Form als die der autonomen Heerde (bis hinaus zur Ablehnung selbst der Begriffe "Herr" und "Knecht" - ni dieu ni maître heisst eine socialistische Formel -); Eins im zähen Widerstande gegen jeden Sonder-Anspruch, jedes Sonder-Recht und Vorrecht (das heisst im letzten Grunde gegen jedes Recht: denn dann, wenn Alle gleich sind, braucht Niemand mehr Rechte" -); Eins im Misstrauen gegen die strafende Gerechtigkeit (wie als ob sie eine Vergewaltigung am Schwächeren, ein Unrecht an der nothwendigen Folge aller früheren Gesellschaft wäre -); aber ebenso Eins in der Religion des Mitleidens, im Mitgefühl, soweit nur gefühlt, gelebt, gelitten wird (bis hinab zum Thier, ( bis hinauf zu "Gott": - die Ausschweifung eines Mitleidens mit Gott" gehört in ein demokratisches Zeitalter -); Eins allesammt im Schrei und der Ungeduld des Mitleidens, im Todhass gegen das Leiden überhaupt, in der fast weiblichen Unfähigkeit, Zuschauer dabei bleiben zu können, leiden lassen zu können; Eins in der unfreiwilligen Verdüsterung und Verzärtlichung, unter deren Bann Europa von einem neuen Buddhismus bedroht scheint; Eins im Glauben an die Moral des gemeinsamen Mitleidens, wie als ob sie die Moral an sich sei, als die Höhe, die erreichte Höhe des Menschen, die alleinige Hoffnung der Zukunft, das Trostmittel der Gegenwärtigen, die grosse Ablösung aller Schuld von Ehedem: - Eins allesammt im Glauben an die Gemeinschaft als die Erlöserin, an die Heerde also, an sich ......

Redisons tout de suite une fois de plus, ce que nous avons déjà dit cent fois, car les oreilles ne sont pas aujourd'hui bien disposées à entendre de telles vérités - nos vérités. Nous savons du reste combien cela passe pour offensant, d'entendre ranger l'homme, tout crûment et sans métaphore, au nombre des animaux. Aussi sera-t-on sans doute tout disposé à nous accuser de d'employer constamment, en parlant des tenants des "idées modernes", les expressions de "troupeau", "instincts grégaires" et autres semblables. Mais qu'y faire! Nous n'en pouvons mais, car c'est en cela précisément que réside notre vérité nouvelle. Nous avons constaté que l'on s'est mis d'accord sur l'essentiel des principaux jugements moraux dans tous les pays d'Europe et dans les pays où prédomine l'influence européenne. Visiblement on sait en Europe ce que Socrate ne pensait pas savoir et ce que le fameux serpent d'autrefois avait promis d'enseigner, on "sait" aujourd'hui ce qu'est le bien et le mal. Il est inévitable que cela résonne durement et fasse mal aux oreilles quand nous affirmons toujours à nouveau que ce qui ici s'imagine connaître, ce qui se glorifie soi-même en décernant louanges et blâmes, c'est l'instinct de l'animal de troupeau appelé homme en tant qu'il est parvenu et parvient de plus en plus à faire sa trouée, à l'emporter, à dominer sur les autres instincts selon un processus de rapprochement et d'assimilation physiologique croissants dont il est le symbole. La morale est aujourd'hui en Europe une morale de troupeau, ainsi donc à notre avis, une variété de morale humaine qui laisse ou devrait laisser possibles à côté d'elle une infinité d'autres morales, et avant tout de morales supérieures. Mais contre une telle "possibilité", contre un tel "devoir être", cette morale se défend de toutes ses forces : elle déclare opiniâtrement et inexorablement : " C'est moi la morale, et rien en dehors de moi n'est morale " - certes avec l'aide d'une religion qui était à la solde des désirs les plus sublimes de l'animal de troupeau, les choses en sont venues au point que nous trouvons jusque dans les institutions politiques et sociales l'expression de plus en plus évidente de cette morale; le mouvement démocratique recueille l'héritage du mouvement chrétien. Mais que ce mouvement soit encore beaucoup trop lent et trop endormi pour les plus impatients, les malades et les accrocs de cet instinct, c'est ce qu'expriment les hurlements de plus en plus furieux, les grincements de dents de moins en moins dissimulés de ces chiens d'anarchistes qui errent à travers les rues de la civilisation européenne; apparemment en conflit avec les paisibles et laborieux démocrates et idéologues de la révolution, plus encore avec les grossiers philosophâtres et les illuminés sectaires qui se déclarent socialistes et veulent la "société libre"; mais en réalité tous sont unis dans la hostilité foncière et instinctive de toute autre forme de société que celle du troupeau autonome (allant jusqu'au refus des concepts de "maître" et de "serviteur" - ni dieu ni maître, dit un slogan socialiste); tous d'accord dans la résistance opiniâtre à toute prérogative individuelle, à tout droit préférentiel (c'est-à-dire à toute espèce de droit, car si tous sont égaux, nul n'a besoin de "droits"); tous unis dans la méfiance à l'égard de la justice pénale (comme si c'était une violence faite aux plus faibles, une injustice envers un état de fait qui résulte nécessairement de tout l'état social antérieur); mais tous unis aussi dans la religion de la pitié, de la sympathie pour tout ce qui sent, vit, souffre, depuis l'animal jusqu'à "Dieu" - l'extravagance d'une "pitié" envers Dieu" appartient à un siècle démocratique -; tous unis dans le cri d'impatience de la pitié, dans la haine mortelle de toute souffrance, dans l'impuissance quasi féminine à voir souffrir, à faire souffrir, unis dans l'obscurcissement et l'amollissement involontaires qui semblent menacer l'Europe d'un nouveau bouddhisme; unis dans la croyance à la morale de la pitié collective, comme si c'était la morale en soi, le sommet, le sommet que l'homme a réellement atteint, le seul espoir de l'avenir, la consolation du présent, la grande rédemption de toutes les fautes passées; tous unis dans la croyance en la collectivité en tant que la rédemptrice, donc dans le troupeau, c'est-à-dire en eux-mêmes...

 

"La morale est aujourd'hui en Europe une morale du troupeau."

 

Nietzsche annonce d'emblée qu'il va "redire tout crûment et sans métaphore" "ce qu'il a déjà dit cent fois" et qui est sa "vérité nouvelle" sur les "idées modernes":

"Ce qui s'imagine connaître, et ce qui se glorifie et s'approuve en s'accordant louange ou blâme, c'est l'instinct de l'animal de troupeau appelé homme.". "La morale est aujourd'hui en Europe une morale de troupeau."

Alors qu'elle n'est qu'une morale parmi d'autres "la morale du troupeau" se donne comme la seule vraie morale et se faisant fait preuve, pour Nietzsche, d'un impérialisme injustifiable : "Elle est là,, qui répète opiniâtrement, inexorablement: c'est moi la morale, il n'y a pas de morale en dehors de moi".

Bien plus, aidée dans son impérialisme par la religion du troupeau, qu'est le christianisme pour Nietzsche, cette morale du troupeau s'exprime dans des institutions sociales et politiques : non seulement le mouvement démocratique (le plus grégaire) mais aussi les mouvements anarchistes et socialistes - également honnis par Nietzsche - par delà leurs oppositions se rejoignent 
- dans une haine commune de toute forme de société autre que celle du troupeau autonome, autrement dit que toute forme autre que la démocratie;
- dans la résistance à tout droit préférentiel
- dans la religion de la pitié, d'une pitié incapable de supporter la souffrance- Cf.
Schopenhauer, ici visé
- dans la foi en la collectivité rédemptrice
- et donc dans leur foi au troupeau, c'est-à-dire à eux-mêmes...

 N.B.
Texte sur les conditions de rupture à l'égard de la morale du troupeau: Also sprach Zarathoustra, De la voie du créateur.
Rompre avec le conformisme n'est pas à la portée du premier venu. Risque: tomber dans le conformisme de l'anticonformisme. Prétendre décider à partir de soi-même suppose en effet que l'on ne décide pas contre (ce qui serait un pur acte de ressentiment) mais que l'on ait acquis la souveraineté sur soi. L'homme libre n'est pas celui qui est libre à l'égard de tout (girouette) mais celui qui se soumet à un but qui le dépasse. Mais si la vraie liberté est à ce prix, qui oserait prétendre avoir le droit de secouer le joug de la morale commune ?

      Autres aphorismes de la cinquième partie

 

Traduction et commentaire

© M. Pérignon