C'est ainsi, par exemple, qu'ayant remarqué que telle couleur, telle saveur, telle odeur, telles figure et consistance vont ensemble, on les considère comme une seule chose distincte, qui est signifiée par le nom de pomme. D'autres ensembles d'idées constituent une pierre, un arbre, un livre et de semblables choses sensibles ; lesquelles, selon qu'elles sont agréables ou désagréables, excitent les passions de l'amour, de la haine, de la joie, de la douleur, et ainsi de suite

Mais, outre toute cette variété sans fin d'idées ou d'objets de la connaissance, il y a également quelque chose qui les connaît ou les perçoit, et qui exerce sur elles diverses opérations telles que vouloir, imaginer, se souvenir, etc. Cet être qui perçoit et qui agit, c'est ce que j'appelle esprit, âme ou moi-même, mots par lesquels je ne désigne aucune de mes idées, mais quelque chose d'entièrement distinct d'elles, dans lequel elles existent ou, ce qui revient au même, par lequel elles sont perçues car l'existence d'une idée consiste dans le fait qu'elle est perçue.

Que ni nos pensées ni nos passions ni les idées formées par l'imagination n'existent hors de l'esprit, c'est ce que tout le monde accordera. Et il semble tout aussi évident que les diverses impressions ou idées imprimées sur les sens, quelque mélangées ou combinées qu'elles puissent être (c'est-à-dire quels que soient les objets qu'elles composent), ne peuvent exister autrement que dans un esprit qui les perçoit. Je pense qu'une connaissance intuitive de cela peut s'obtenir par quiconque fera attention à ce que veut dire le terme « exister lorsqu'il est appliqué aux choses sensibles. Je dis que la table sur laquelle j'écris existe, c'est-à-dire que je la vois et la touche et, si je n'étais pas dans mon bureau, je dirais que cette table existe, ce par quoi j'entendrais que, si j'étais dans mon bureau, le dirais, le pourrais la percevoir; ou bien, que quelque autre esprit la perçoit actuellement. « Il y eut une odeur », c'est-à-dire, elle fut sentie « il y eut un son  », c'est-à-dire, il fut entendu , « il y eut une couleur ou une figure » elle fut perçue par la vue ou le toucher. C'est tout ce que je puis entendre par des expressions telles que celles-là. Car, quant à ce que l'on dit de l'existence absolue de choses non pensantes, sans aucun rapport avec le fait qu'elles soient perçues, cela semble parfaitement inintelligible. L'esse de ces choses-là, c'est leur percipi; et il n'est pas possible qu'elles aient une existence quelconque en dehors des esprits ou des choses pensantes qui les perçoivent.

Berkeley, Traité des principes de la connaissance humaine, § 1, 2, 3