J'ai déjà observé que la justice naît de conventions humaines ; et que celles-ci ont pour but de remédier à des inconvénients issus du contour de certaines qualités de l'esprit humain et de la situation des objets extérieurs, Les qualités de l'esprit sont l'égoïsme et la générosité restreinte: la situation des objets extérieurs est la facilité de les échanger jointe à leu] rareté en comparaison des besoins et des désirs des hommes. […]

[…] On remarque aisément qu'une affection cordiale met tout en communauté entre amis ; et que des époux, en particulier, perdent l'un et l'autre leur propriété et ne connaissent plus le tien et le mien qui sont si nécessaires et qui pourtant causent tant de trouble dans la société humaine. Le même effet résulte d'un changement des circonstances où vivent les hommes ; quand par exemple il y a une assez grande abondance d'un bien pour contenter tous les désirs des hommes ; dans ce cas disparaît complètement toute distinction de propriété et tout demeure en commun. Nous pouvons observer cette situation pour l'air et l'eau, qui sont pourtant les plus estimables des objets extérieurs ; et nous pouvons aisément conclure que si les hommes étaient fournis, en même abondance, de tous les biens on si chacun avait pour autrui la même affection et la même attention tendre que pour soi-même, la justice et l'injustice seraient également inconnues des hommes.

Voici donc une proposition qu'on peut, à mon avis, regarder comme certaine: c'est uniquement de l'égoïsme de l'homme et de sa générosité linmitée, en liaison avec la parcimonie avec laquelle la nature a pourvu à la satisfaction de ses besoins, que la justice tire son origine.

 

David Hume, Traité de la nature humaine (1739-1740), trad. A. Leroy, Ed, Aubier-Montaigne, 1973, pp. 612-613.

 

 

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