Logique et mathématiques

 

Plan

Introduction:

- La logique et les mathématiques, présentation

- Les mutations de la logique et des mathématiques

I. Evolution de la logique

A. L'ancienne logique et ses manques:
1. Exposé préliminaire

2. Valeur et limites de la logique aristotélicienne

3. Parallélismes logico-mathématiques

B. La nouvelle logique, formalisée:

   du raisonnement verbal, au raisonnement calculé.

1. La logique de Boole

2. La révolution contemporaine: Russell et Peano

3. La formalisation en logique

 

II. Evolution des mathématiques

 

A. Les anciennes mathématiques et leurs manques
1. Ce qu'elles étaient,

2. La géométrie d'Euclide,

B. La nouvelle mathématique, formalisée

1. L'axiomatisation

2. De l'axiomatisation à la formalisation

3. Conséquence:

"La mathématique est une science où l'on ne sait jamais

de quoi l'on parle ni si ce qu'on dit est vrai" (Russell)

 

Conclusion:

Nouveau style de l'intelligence

 


Introduction

 

La logique et les mathématiques, présentation

 

La logique et les maths sont des sciences de même espèce, dites formelles

Sciences

 

 

formelles

  [déductives]

expérimentales

  [inductives]

logique

mathématiques

de la nature

astrophysique

physique

biologie

de l'homme

psychologie

sociologie

ethnologie

 

- Problématique: les mutations de la logique et des mathématiques

Nous suivrons le double progrès de la logique et de la mathématique qui, d'abord relativement distinctes, sont maintenant coordonnées.

- Nous reconnaîtrons d'abord la signification de l'ancienne logique; nous rechercherons ensuite pourquoi et comment elle a fait place à la nouvelle logique,formalisée.

- Nous adopterons le même cheminement pour la mathématique: nous évoquerons d'abord les mathématiques classiques, puis la mathématique formalisée actuelle.

- Enfin, le rassemblement des deux disciplines proposera ses significations, aussi intéressantes pour l'une que pour l'autre de chacune d'entre elles.

 

I. Evolution de la logique

 

A. L'ancienne logique et ses manques:

 

1. Exposé préliminaire

 

a) La logique

Logique = "Science ayant pour objet de déterminer, parmi les opérations tendant à la connaissance du vrai, lesquelles sont valides et lesquelles ne le sont pas." (A. Lalande)

=> logique = science normative.

 

b) La logique formelle

Aristote en est l'inventeur. La logique est dite formelle, car elle porte sur la "forme" du raisonnement, en non sur son "contenu". Cf. Blanché

Le syllogisme est pour Aristote le type de raisonnement étudié par Aristote.

LE SYLLOGISME:

- Composition:

3 propositions:
2 prémisses
la majeure et la mineure

et 1 conclusion

3 termes:

le Grand Terme (GT)

le Petit Terme (PT)

et le Moyen Terme (MT)

- Exemple :

Tous les hommes(MT) sont mortels ( GT) : majeure

or Socrate(PT) est un homme(MT) : mineure

Donc Socrate(PT) est mortel (GT) : conclusion

 

- Définition:
Le syllogisme est l'opération par laquelle du rapport de deux termes à un même troisième on conclut à leur rapport mutuel.Cf. Aristote

 

- Rapports retenus par la formulation syllogistique du raisonnement:
les rapports d'inclusion et d'exclusion.

Ainsi, "Socrate est un homme" veut dire que "Socrate appartient à l'ensemble des hommes".

 

- Aristote a établi les formes correctes de raisonnement par syllogisme (19).

Ex. modes concluant Cf. Bourgeois Gentilhomme

1ère figure bArbaArA cElArEnt dArII fErIO

(2ème figure cEsArE cAmEstrEs fEstInO BArOcO)

(3ème figure dArAptI fElAptOn dIsAmIs dAtIsI bOcArdO fErIsOn)

(4ème figure bArAlIp cAmEntEs dImAtIs fEsApO frEsIsOn)

 

N.B. Mode: disposition des propositions qui dépend de la quantité (universelle ou particulière) et de la qualité (affirmative ou négative) des propositions;

Modes:

(Cs)
UNIVERSELLE
(Cs)
A
CONTRAIRES
E
Affirmative

SUBALTERNE

(AffIrmo)

CONTRADICTOIRES
Négative

SUBALTERNE

(NégO)

I
SUBCONTRAIRES
O
(Cs)
PARTICULIERE
(Cs)

ex fErIO :

Majeure "E", universelle négative

Mineure "I", particulière affirmative

Conclusion "O", particulière négative

Ex. Aucun élève de T(X) n'est grippé

Or un habitant de Cattenom est élève en T(X

Dc un habitant de Cattenom n'est pas grippé.

 

Figure: disposition du syllogisme qui résulte de la place occupée par le moyen terme dans les prémisses.

=> 4 figures possibles

 

1ère

2ème

3ème

4ème

MT

GT

GT

MT

MT

GT

GT

MT

\

!

!

/

PT

MT

PT

MT

MT

PT

MT

PT

 

N.B Les modes de la 1ère figure constituent les axiomes auxquels peuvent être ramenés (par voie de Conversion) les autres, ayant ainsi valeur de théorème.

Pour faciliter les opérations de réduction ont été choisies les consonnes initiales des mots désignant chaque mode concluant: B C D F

ex. (C)EsArE (2e fig.) renvoie à (C)ElArEnt

(s) et (p) signifient que la proposition représentée par la voyelle qui précède doit subir (s) la conversion simple (p) conversion partielle (inversion du sujet et de l'attribut sans (s) ou avec (p) changement)

ex. Nul élève de T(X) n'est grippé

Or Achille est grippé

Dc Achille n'est pas élève de T(X)

Ce syllogisme de la 2ème figure est réductible à un syllogisme de la 1ère figure:

Nul grippé n'est élève de T(X)

Or Achille est grippé

Dc Achille n'est pas élève de T(X)

 

(m) signifie que les prémisses doivent être transposées

par ex. cA(m)E(s)trE(s) ----> cElArEnt

                                                      !---> (2e fig)

                                                 <--!

Ex. Tout artiste produit des chef-d'oeuvres

Or Georges ne produit pas de Chef-d'oeuvre

Dc Georges n'est pas un artiste

==> Nul producteur de chef d'oeuvre n'est Georges

Or tout artiste produit des chefs-d'oeuvre

Dc aucun artiste n'est Georges

(c) signifie que l'on ne peut faire la réduction que par l'absurde.

Ce procédé est utilisé pour convaincre un adversaire qui admettrait les prémisses sans admettre la concl. S'il n'admet pas la conclusion, il doit admettre sa contradictoire. On fait de cette contradictoire la prémisse d'un nouvel argument, l'autre prémisse étant l'une des deux prémisses admises par l'adversaire, amenant ainsi l'adversaire à se contredire.

Nous rencontrons (C) dans un syllogisme de la 2e figure bArO(c)O & dans un syllogisme de la 3e fig. bO(c)ArdO

Ex. en Baroco:

Toutes les femmes aiment le parfum

Or une élève de terminale(X) n'aime pas le parfum

Dc une élève de terminale(X) n'est pas une femme.

Si un élève proteste (sentant peut-être sa copine visée) tout en reconnaissant les prémisses, il doit admettre que toutes les élèves de T(X) sont des femmes.

On construit un nouveau syllogisme:

Toutes les femmes aiment le parfum

Or toutes les élèves de Term(X) sont des femmes

Donc toutes les élèves de T(X) aiment le parfum

 

2. Valeur et limites de la logique aristotélicienne

 

a) Valeur

Mérite d'Aristote: sa mise en forme des règles de la déduction par syllogisme (cf. modes concluants) joua un rôle décisif et premier dans la constitution d'une pensée rigoureuse. En mettant en ordre et en forme une logique (en montrant la concluance de 19 formes de déduction syllogistique sur 192) Aristote a créé une rupture : pour la première fois des règles du fonctionnement valide de l'esprit étaient dégagées, rassemblées et organisées.

b) Limites

Insuffisance de la logique d'Aristote : elle reste tributaire d'une formulation concrète. Bien plus, elle est limitée à la seule attribution : sous quelles conditions un prédicat (mortel) peut-il légitimement être attribué à un sujet (Socrate)?

Dans une telle logique il s'agit de placer des êtres dans des classes selon les rapports d'inclusion ou d'exclusion. Du même coup est attribuée (ou refusée) au sujet telle ou telle qualité, toujours avec la même copule, "est" (ou sont), "n'est pas" (ou ne sont pas).

Le progrès de la logique appelait que l'on passe d'une logique simplement formelle à une logique formalisée symbolique qui renonce à la signification des termes du raisonnement, qui utilise des termes artificiels. La logique de l'attribution se devait de céder la place à une logique des relations, infiniment plus mobile, plus diverse et plus féconde.

 

3. Parallélismes logico-mathématiques:

 

a) Moins d'un siècle après l'effort déployé par Aristote pour concevoir une logique théorique ordonnée, Euclide allait substituer aux simples techniques opératoires des arpenteurs égyptiens une géométrie théorique ordonnée.

b) Le parallélisme logico-mathématique se redouble: malgré cette "rupture épistémologique" (Bachelard) quelque chose demeure des anciennes dépendances empiriques: la logique formelle d'Aristote garde ses concepts "naturels", concrets; de même la géométrie d'Euclide sera une géométrie des formes de notre espace et des figures de notre expérience (terrestre).

c) Significativement, le parallélisme se confirmera une troisième fois à travers l'histoire : pour la logique comme pour la géométrie, il faudra attendre 23 siècles, soit la fin du XIXe siècle, pour une seconde rupture épistémologique et les années 1920 pour une troisième. Celle-ci donnera naissance en même temps à la logique et à la mathématique contemporaines, avant de les rassembler. L'osmose entre les deux disciplines est telle que la nouvelle logique se constitue sur le modèle de la mathématique, mais revendique bientôt le rôle de la fonder et ce n'est que pour les besoins de l'exposé que nous continuerons à les distinguer.

 

 

B. La nouvelle logique, formalisée:

   du raisonnement verbal,

   au raisonnement calculé.

 

Le passage d'une logique simplement formelle par une logique entièrement formalisée s'est opéré grâce à l'adoption du calcul logique.

 

1. La logique de Boole (1847: the mathematical analysis of logic)

 

Boole substitue le raisonnement algébrique au raisonnement verbal. Comme en algèbre, on raisonne avec des symboles, objet de calcul (dit booléen). Les lois logiques s'expriment par des équations.

Cependant les symboles algébriques de Boole, s'ils assurent au maniement logique beaucoup plus de sûreté et d'élan, désignent seulement des classes dont ils algébrisent les relations. Or la logique traditionnelle était déjà une logique des classes et des relations entre classes. Boole n'avait pu, avec son "algèbre de la logique" ouvrir à la logique que le moyen des signes et du calcul. Il n'avait rien changé à son principe.

 

2. La révolution contemporaine.

 

La véritable novation intervient lorsque, entre 1900 et 1914, Peano en Italie et surtout Russell en Angleterre appliquent le calcul non plus aux classes mais aux propositions.

Ex. Soit 2 propositions: le soleil brille, il fait beau.

Je vais pouvoir les relier. Ce sera à l'aide d'un connecteur, qui déterminera la vérité de leur relation, appelé pour cette raison "foncteur de vérité". Entre autres foncteurs, signalons ET, OU et SI...ALORS.

Prenons le foncteur ET pour combiner nos deux propositions en une seule: le soleil brille ET il fait beau. Cette nouvelle proposition sera vraie si et seulement si les deux propositions élémentaires sont vraies. Si l'une des deux ou toutes les deux sont fausses, alors leur conjonction sera fausse. Je puis abandonner les significations concrètes de ces deux propositions élémentaires et appeler p la première proposition et q la seconde. En formalisant la relation dite de conjonction que j'établis entre elles, je puis dresser un tableau, appelé table de la vérité de cette conjonction, symbolisée par le symbole &:

 

p
q

P
&
q

V
V

V
V
V
F
V

F
F
V
V
F

V
F
F
F
F

F
F
F

 

Posons une autre table de vérité, celle de l'implication, construite sur le principe selon lequel le vrai ne saurait impliquer le faux quand bien même le faux pourrait impliquer le vrai.

 

p
q

P
=>
q

V
V

V
V
V
F
V

F
V
V
V
F

V
F
F
F
F

F
V
F

 

 

Le calcul logique permettra d'établir des relations tautologiques (vraies dans tous les cas) qui auront valeur de loi.

Ex.

p
q

(p
&
(p
=>
q))
=>
q

V
V

V
V
V
V
V
V
V
F
V

F
F
F
V
V
V
V
V
F

V
F
V
F
F
V
F
F
F

F
F
F
V
F
V
F

 

 

Par contre, ne saurait être retenu le raisonnement qui est à la base de la déduction expérimentale !

 

p
q

(q
&
(p
=>
q))
=>
p

V
V

V
V
V
V
V
V
V
F
V

V
V
F
V
V
F
F
V
F

F
F
V
F
F
V
V
F
F

F
F
F
V
F
V
F

 

3. La formalisation en logique.

 

Principe de la formalisation:
les propositions formalisées n'ont plus de signification ou, plutôt, la formalisation leur confère un sens universel, indépendant de toute référence particulière.

 

En outre, la logique abandonne aussi la langue vulgaire:
a) La langue vulgaire est parlée; la logique utilise un système de signes qui n'exigent pas d'être parlés, mais seulement pensés.

b) Les formes grammaticales varient avec les langues; la logique crée un langage constant et universel.

c) La syntaxe des langues naturelles n'adhère pas parfaitement à la structure logique; la logique invente une syntaxe qui fera correspondre exactement les différents symboles aux différentes formes logiques.

ex. Vx ( xH xM): tous les hommes sont mortels.

    ou (x) fx = gx

Cette même expression logique pourra tout aussi bien signifier: un homme est l'artisan de sa destinée. Ce qui montre que la même formule pourra exprimer des propositions différentes du langage courant, différentes quant à leur contenu et à leur structure grammaticale; ce pouvoir, elle le tient de sa formalisation.

C'est dire qu'un système formalisé tiendra sa fécondité de l'intuition. Un système formel enregistre et met au clair les démarches de découverte de la pensée intuitive.

Le formalisme met en ordre ce que l'intuition a procuré, mise en ordre indispensable à l'intuition qui, sans elle, risquerait toujours de se perdre dans l'indicible.

 

II. Evolution des mathématiques

 

A. Les anciennes mathématiques et leurs manques.

1. Les anciennes mathématiques

 

Des anciennes mathématiques (jusqu'à la fin du XIXe siècle), la définition de Descartes ("La science de l'ordre et de la mesure") était encore vraie.

La mesure était - elle ne l'est plus - le caractère le plus apparent des mathématiques: elles mesuraient des quantités continues, ou grandeurs (la géométrie), des quantités discontinues, ou nombres (l'arithmétique). L'algèbre évacuait la quantité chiffrée pour raisonner par le moyen de lettres reprenant n'importe quelle quantité, sous les seules conditions résultant de la relation où elles interviennent. La géométrie analytique (Fermat, Descartes) exprimait les formes géométriques dans la langue de l'algèbre (telle courbe s'exprime par telle équation). L'analyse établissait de nouvelles relations entre les grandeurs en les rapportant à des quantités infinitésimales (ainsi de la dérivée d'une fonction d'une variable, limite vers laquelle tend le rapport de l'accroissement de la fonction à l'accroissement de la variable, lorsque celle-ci tend vers zéro).

 

2. L'exemple de la géométrie d'Euclide.

 

Retenons comme exemple la géométrie d'Euclide (IIIe s. av.-J.C), à qui il revient d'avoir créé la méthode axiomatique.

En tête de ses célèbres Eléments figurent des axiomes et des postulats, dont nous préciserons la nature respective en parlant plus tard (II. B) de l'axiomatisation.

Notons simplement pour l'instant qu'en même temps qu'elle l'admire la géométrie moderne reproche à Euclide l'insuffisance de son système d'axiomes et de postulats: les "évidences" qu'il ne pouvait démontrer, il ne songeait pas à les déclarer comme axiomes.

C'est un point important que la première démonstration des Eléments met bien en lumière: Euclide construit un cercle de centre A passant par B et le cercle de centre B passant par A puis examine aussitôt les propriétés de l'un de leurs points d'intersection C. Lacune grave: l'existence d'un tel point n'est établie que par l'intuition de la figure: or l'intuition suggère mais ne démontre pas (on peut au contraire démontrer mathématiquement que, dans certaines conditions, les deux cercles ne se coupent pas). Il y a un indémontrable; il est nécessaire de le démontrer comme axiome.

Ce qui nous conduit à réfléchir à la nature des axiomes, et avec elle au travail de l'axiomatique.

 

B. La nouvelle mathématique, formalisée

 

1. L'axiomatisation

Les classiques distinguaient nettement les axiomes, propositions admises sans démonstration comme évidentes (par la foi de l'intuition intellectuelle), et les postulats, propositions indémontrables que l'on demande (postulare) au lecteur d'accepter (sur la foi de l'intuition empirique).
Ex. d'axiomes: le tout est plus grand qu'une partie de ce tout; deux quantités égales à une même troisième sont égales entre elles;

Ex.de postulat, le postulat d'Euclide: par un point pris hors d'une droite passe une parallèle à cette droite, et une seule.

Or ni les postulats, ni même les axiomes ne possèdent le caractère de vérité absolue qu'Euclide - et toute la pensée classique - leur accordait (nous allons le reconnaître sous peu).

A côté du postulat d'Euclide, on en admettra d'autres.

Lobatchevsky, mathématicien russe de la fin du XIXe siècle, pose: par un point pris hors d'une droite, on peut mener plusieurs parallèles à cette droite; la géométrie de Riemann (allemand, 1849): par un point pris hors d'une droite, on ne peut mener aucune parallèle à cette droite (parce que l'espace est non pas plat, comme chez Euclide, mais courbe).

L'erreur d'Euclide? Aucune erreur: Euclide en son temps ne pouvait pas penser que d'autre postulats étaient possibles, et par suite d'autres géométries. Euclide ne pouvait pas, à l'aube de la géométrie, formaliser celle-ci, càd la dégager de toute attache concrète. Elle demeurait une théorisation de l'expérience géométriques d'esprits liés aux objets terrestres. Dans cette expérience banale, le postulat est concrètement vrai; la géométrie d'Euclide continue d'être parfaitement pertinente dans ce cadre; elle suffit à l'expert géomètre, à l'architecte, à l'ingénieur; les viaducs euclidiens ne s'effondrent pas. Elle répond bien à se définition, une science qui est mesure de la terre.

L'énorme "rupture épistémologique" intervient, au milieu du XIXe siècle (la géométrie de Riemann est de 1849), lorsque LA mathématique se substitue AUX mathématiques et pousse l'abstraction jusqu'à s'abstraire entièrement du réel, la généralisation jusqu'à s'universaliser.

Voyons les conséquences:

a) Les axiomes

Il est nécessaire de reconnaître franchement, dès le départ, un certain nombre d'axiomes indémontrables et indispensables ( 27 dans l'axiomatique de la géométrie d'Hilbert).

On peut même les choisir librement, pourvu seulement qu'ils satisfassent à certaines conditions:

- leur système doit être cohérent, "consistant", càd sans contradiction entre les axiomes;

- ils doivent être indépendants les uns des autres;

- ils doivent être économiques,càd en nombre aussi réduit que possible (aucun double emploi, même partiel).

b) les entités mathématiques

Il devient possible de formaliser la construction mathématique grâce à un système de signes tout isolés du langage ordinaire (particulièrement du verbe être), autrement dit par un langage symbolique - le même, exactement le même, que celui de la logique formalisée symbolique.

Non seulement les objets mathématiques n'ont plus aucun rapport avec le concret. De surcroît les opérations elles-mêmes abandonnent entièrement le sens semi-concret des opérations banales (les modèles de l'addition, de la soustraction, de la multiplication, de la division, de l'élévation au carré sont formés sur l'exemple de l'activité pratique ): elles ne sont plus fixées que par leurs définitions et leurs propriétés, très abstraites.

c) Le déclin des absolus

Surtout, les propositions classiques perdent leur sens absolu: la somme des angles d'un triangle n'est plus égale à deux droites que si l'on pose à l'origine les postulats d'Euclide; ce théorème n'est plus vrai que dans ce "cas particulier".

Même les axiomes (au sens classique), propositions naguère évidentes et d'une vérité absolue, n'ont plus qu'une valeur relative, "locale".

Montrons le sur l'exemple de l'axiome : "Le tout est plus grand qu'une partie de ce tout". Cette proposition n'est plus évidente, ni par suite absolue. Deux démonstrations sont possibles du caractère limité de sa validité, l'une arithmétique, qui vient de Peano, l'autre géométrique, due à Hilbert. Voici la démonstration géométrique, particulièrement frappante: Soit 2 demi-droites Ox et Oy, coupées par deux droites parallèles en A et B, C et D. Dans la géométrie Euclidienne, CD = CE+ED; or ED = AB; donc CD > AB. On a appliqué là l'axiome (au sens classqie): le tout est plus grand que la partie. Mais menons maintenant (par la pensée) du point O une infinité de sécantes à CD. Nous trouverons toujours sur AB un point, puis un autre point, et ainsi de suite, pour faire passer une sécante, puis une autre sécante, et ainsi de suite, jusqu'à un nombre infini de sécantes. Donc, il y a sur AB autant de points que sur CD: le tout est égal à la partie. L'axiome est démenti: il n'est plus vrai qu'en dehors de l'infiniment grand; il n'est plus vrai que dans le région des quantités finies. Si l'on revient au langage classique, on dira que c'est un postulat.

Parce qu'il était nécessaire de déclarer tous les axiomes et tous les postulats, on est convenu de la rassembler sous le nom d'axiomes, en abandonnant la distinction classique. Le logicien doit le regretter: manifestement les anciens axiomes (le tout est plus grand que la partie) et les anciens postulats (Euclide) ne sont pas du même ordre logique. En réalité, on devrait distinguer, avant de les rassembler, une axiomatique et une postulatique.

 

2. De l'axiomatisation à la formalisation.

 

Grâce à l'axiomatisation, la figure d'ensemble de la mathématique est devenue méconnaissable par rapport aux mathématiques classiques.

L'ancienne répartition (arithmétique, algèbre, géométrie...) par les objets étudiés (l'espace pour la géométrie,le nombre pour l'arithmétique) n'a plus de sens. Le principe de l'ordre est désormais dans la structure logique, la forme et non le contenu. Par cette structure, hypothético-déductive, elle rejoint la logique formelle symbolique avec laquelle elle tend à s'identifier

 

 

3. Boutade de Russell

 

Il serait faux de prendre en un sens vulgaire la trop célèbre boutade de Bertrand Russell : "la mathématique est une science où l'on ne sait jamais de quoi on parle, ni si ce qu'on dit est vrai", ou celle de Poincaré (qui convient pourtant exactement à l'axiomatique): "la mathématique est l'art de donner le même nom à des choses différentes."

Signification du propos de Russell:

Notions mathématiques sont des notions qui correspondant à tout et à rien, parfaitement abstraites (cf. Poincaré).Elles sonnent le glas de l'intuition empirique ou même intellectuelle.

Les proposition mathématiques sont des propositions dont la valeur de vérité n'est pas absolue. Leur valeur est en effet tout entière dépendante de l'acceptation première d'axiomes indémontrables.

Nuances à apporter:

La mathématique sait de quoi elle parle, elle ne parle ni dans le vague ni dans le vide ! L'effort axiomatique en est la manifestation éclatante. Ses propositions sont déduites avec une rigueur implacable : la mathématicien sait toujours s'il dit vrai, au sens où ce qu'il pose est valide à l'intérieur du système dans lequel il travaille et non au sens où ce qu'il dit correspondrait à quelque chose de réel, de ce côté-ci du miroir...

SOMME TOUTE, la mathématique est une construction a priori de l'esprit, manifestant sa liberté. Cf Cantor: "l'essence de la mathématique réside (précisément) dans sa liberté" (Fondements d'une théorie générale des ensembles (1883). Mais c'est une construction soumise à des règles, celles-là même qui sont constitutives de la rationalité, règles mises en forme calculable par la logique.

 

Conclusion

 

Au carrefour des deux mouvements analysés, la mathématisation de la logique et la fondation des mathématiques elles-mêmes, se fonde un style nouveau de l'intelligence.

 


© M. Pérignon